Ce que l’on entend n’est pas forcément ce que l’on attend. Pour l’ouverture du Festival russe auquel l'Auditorium de Lyon convie en cet automne, de prestigieux interprètes dévoilent les strates multiples des œuvres de Tchaïkovski et de Ravel. Ils enlèvent à ces œuvres canoniques leurs toujours chatoyantes coques une à une, comme si c’étaient de petites poupées russes. Boris Berezovsky se charge de celles du Deuxième Concerto, Iouri Temirkanov et l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg dépouillent Roméo et Juliette, Ma Mère l’Oye et La Valse.
Le maestro ne passe pas par le devant de la scène, mais par le milieu de son orchestre pour atteindre l’estrade : image de proximité entre Iouri Temirkanov et les musiciens, qui s’apprêtent à retrouver l’Italie tragique vue par Shakespeare sous un géant russe. L’Ouverture-fantaisie que Tchaïkovski a dédié aux amants de Vérone, l’une de ses premières compositions symphoniques, s’ouvre sur une superbe entente des bassons et clarinettes, le thème est intense et beau, joué non trop lentement, mais avec une sobriété qui n’enlève rien au pathétique qu’il annonce. Arrivée en très grande formation, la plus vieille formation symphonique russe est disposée à l’européenne, de manière à dégager aux mieux les effets de la musique romantique. Et la profondeur du son est vraiment éblouissante, non seulement la largeur, due à la présence d’une belle centaine d’instrumentistes. Le coup de destin, la danse sentimentale des amants, les dernières convulsions des corps, tout ce déroulement d’une passion fatale est dessiné avec justesse par Iouri Temirkanov. Sa direction est d’une grande élégance, ne s’exprimant en grands gestes que s’il le faut – parfois, le voyant de dos, on a l’impression qu’il bouge à peine ses mains. Mais quand monte la tension finale, alors le chef se lance dans la mer instrumentale pour la frayer à la manière d’un nageur de brasse.
Les cinq pièces enfantines de Ma Mère L’Oye étincellent de magie : dans la « Pavane », les cordes frôlent seulement votre peau, le « Petit Poucet » se promène fièrement au son du cor anglais, la soie de « Laideronnette, impératrice des pagodes » scintille d’orientalisme, la Bête au contrebasson grommelle dans ses « Entretiens » avec la Belle, et un mystérieux brouillard s’élève lentement du « Jardin féerique ». La musique descriptive atteint son deuxième degré avec l’hommage rendu par Ravel à Johann Strauss et Vienne dans la Valse, « Poème chorégraphique », parfois nostalgique, parfois satirique – c’est un répertoire divertissant et coloré qui sied à cette inauguration de festival, et le Philharmonique de Saint-Pétersbourg l’exécute de façon séduisante.