Les orchestres attirent-ils les foules ? Sans doute moins qu’une vedette du chant lyrique, un virtuose du piano ou une légende de la baguette. C’est un tort. Hier soir à la Philharmonie de Paris, la véritable attraction n’était pas le maestro Andris Nelsons, bien que le colosse letton à peine quarantenaire poursuive une impressionnante carrière entre l’Allemagne et les États-Unis. Non, la star, c’était le doyen des orchestres du monde, le Gewandhausorchester de Leipzig, venu interpréter entre autres la musique d’un de ses chefs d’orchestre les plus célèbres : Felix Mendelssohn.
La sonorité du Gewandhaus ne reflète pas son âge : incroyablement homogènes, les cordes sont souples dans leurs dessins mélodiques et dynamiques, malgré le tempo rigide que Nelsons maintient dans les deux premiers mouvements de la Symphonie n° 2 de Schumann. Distinguons les contrebasses, capables de pizzicati moelleux et phrasés comme rarement ; Mathias Müller aux timbales, toujours impressionnant dans sa façon de glisser sa voix au sein du collectif ; le hautbois de Domenico Orlando, dont le chant pur donne la chair de poule (notamment dans le bouleversant troisième mouvement). Tous somptueux individuellement, les timbres des bois sont en plus capables de se fondre idéalement avec les cors – excellent trio de la Symphonie « Italienne » de Mendelssohn après l’entracte – ou les cordes – magnifique thème de violoncelles dans Ruy Blas en ouverture. Avec une telle phalange, c’est bien simple : les fantasmes des orchestrateurs deviennent réalité !
Devant cette cohorte de super-héros, on est tenté de chercher la faille : il y a bien eu quelques fragilités chez les trompettes, dès les premières notes de Schumann. Mais n’est-ce pas le chef qui est à mettre en cause, avec son dangereux pianissimo impalpable ? De même pour le déséquilibre entre les deux pupitres de violons, les premiers éclipsant continuellement les seconds : ces derniers doivent composer avec Nelsons qui leur tourne généralement le dos. Le maestro a une étonnante façon de se tenir sur scène : s’appuyant la plupart du temps sur la barre de son podium de la main gauche, tourné vers cette même moitié de l’orchestre, il entretient ainsi un léger déséquilibre stéréophonique, négligeant régulièrement les cuivres et la garniture harmonique (seconds violons et altos). On perd ainsi quelques subtilités du contrepoint, notamment dans le scherzo schumannien.