La veille, un orage terrible avait inondé et dévasté l'avenue Montaigne. Ni les quelques traces de boue qui subsistent au sol, ni un invraisemblable embouteillage au carrefour de l'Alma n'ont pourtant dissuadé la foule qui se presse au Théâtre des Champs-Élysées pour applaudir la star du jour, Sabine Devieilhe. Nombreux auront été ceux qui, venus pour elle, auront aussi découvert un grand chef. L'Orchestre National de France a bien de la chance ces temps-ci : après ses exploits avec Simone Young, il peut déployer avec Maxim Emelyanychev une palette plus large encore de ses talents. Le jeune chef russe lui a composé un programme idéal, grâce auquel, ensemble, ils vont atteindre des sommets.
Dès la Symphonie dite « Inachevée » de Schubert, les musiciens sont au taquet. L'orchestre en petit effectif est disposé à la viennoise, contrebasses alignées au fond de l'orchestre. D'emblée Emelyanychev évoque le romantisme frémissant d'un jeune homme de 25 ans. Sous la houlette de Sarah Nemtanu, les cordes jouent quasi senza vibrato, archet court, les bois chantent avec une délicatesse, une fantaisie aussi, que n'écrasent jamais les cors et les trombones. On aimerait parfois plus de liberté, plus de souplesse encore, mais on doit saluer la performance de l'orchestre et du chef qui nous font redécouvrir ce chef-d'œuvre dans sa juvénile ardeur.
Une partie de l'orchestre sort, l'effectif se resserre encore autour d'un clavecin, d'où Emelyanychev va diriger la Symphonie n° 45 de Haydn. Dans cette œuvre emblématique du Sturm und Drang, le chef va bien provoquer tempête et passion d'abord chez les musiciens du National poussés à leurs limites. Le plus extraordinaire c'est qu'on ne sent jamais l'effort, encore moins la posture. Comme un ludion parcouru par un courant électrique, Emelyanychev violente son clavecin, communique à ses musiciens une énergie, une jubilation irrésistibles. Le mouvement lent est toute douceur, confidence émue (et quels bois !), le menuet est pris sur le temps et, comme toujours chez Haydn, n'oublie pas ses racines populaires, les deux cors sonnent comme des corni da caccia.