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Les Diotima remontent le temps au Festival de Quatuors du Luberon

Par , 01 septembre 2025

Pour marquer son cinquantième anniversaire, le Festival de Quatuors du Luberon, référence désormais incontournable parmi les festivals de musique de chambre, place son édition 2025 sous le prisme de la rétrospective. Le lendemain d'un concert qui honorait les 50 ans du décès de Chostakovitch, le concert de clôture illustre parfaitement la volonté de remonter le temps : le Quatuor Diotima va interpréter une œuvre d’aujourd’hui, puis une œuvre vieille de 100 ans avant de commémorer les 150 ans de la naissance de Ravel – le tout au sein d’une Abbaye de Silvacane qui fête de son côté ses 850 ans. 

Le Quatuor Diotima au Festival de Quatuors du Luberon
© Festival de Quatuors du Luberon 2025

Créateurs de l’œuvre lors du Festival Présences 2017 à Radio France, les Diotima connaissent Brains sur le bout des doigts. Cette partition originale de la compositrice japonaise Misato Mochizuki joue sur la nature du quatuor à cordes, entité à part entière constituée de quatre individus indépendants. Les musiciens sont unifiés par groupes à travers certains motifs, avant qu’un élément perturbateur n’engendre des turbulences, créant d’autres groupes autour d’autres matériaux.

Voir et entendre les Diotima dans cette œuvre est une expérience passionnante. Il se dégage de leur unité sonore un naturel perturbant, presque organique, signe révélateur de la qualité de l’interprétation. Les gestes, les places et vitesses d’archet sont coordonnés au millimètre, tandis que l’investissement et la concentration absolue des musiciens est contagieuse. Pas un bruit dans un public pourtant relativement réticent à l’abandon de la tonalité.

Il faut dire que la pièce réserve son lot de surprises, lorsque le violoncelliste Alexis Descharmes est amené à jouer en pizzicati à la main gauche tout mobilisant son archet sur d’autres cordes à la main droite, ou encore à la toute fin de l’œuvre quand le musicien désaccorde son instrument lors d’un glissando interminable qui tire vers la contrebasse, ainsi que lors de passages utilisant le bois de l'archet. Alors même qu’on pourrait ne plus savoir où donner de la tête au sein de ce foisonnement, le quatuor sait suggérer sa structure, à l’image de Yun-Peng Zhao au premier violon qui arrache un crin brisé de sa mèche d’archet tout en battant la mesure avec son instrument.

De structure il est également question dans la Suite lyrique de Berg (1925). Après l’organique, le conceptuel, que les Diotima déclinent dans un kaléidoscope de couleurs aussi fourni que délicat : les glissades piano de l’« Andante amoroso », le son métallique des archets près du chevalet pendant l’« Allegro misterioso », les contrastes forte/piano du « Presto delirando » avec quelques passages non vibrés… Tout au long d’une partition dont le dodécaphonisme donne parfois quelques nœuds au cerveau, les interprètes insufflent quelques moments de tendresse, à l’image de la fin de l’« Adagio appassionato ». L'œuvre, déclaration d’amour du compositeur à l’attention de l’épouse d’un ami tchèque, conserve ainsi sa dimension presque effusive – un rapide sondage parmi les spectateurs à l’issue du concert nous apprendra cependant qu’une déclaration d’amour de cette forme n’est pas du goût de tout le monde aujourd’hui, à bon entendeur.

L’attention au rythme, le respect scrupuleux de la partition sont la force des Diotima, et cela rend justice ensuite à l’orfèvrerie de l’écriture ravélienne. Les passages vifs de l’œuvre gagnent une clarté formelle limpide, notamment lors du finale, tout en bénéficiant de la dynamique forcenée de l’ensemble, à l’image du deuxième mouvement dont la transition vers le retour de la première partie est menée avec éloquence et swing, avant de conclure par un pizz rageur.

Cependant, l’interprétation manque parfois de mystère et d’alanguissement. Tout est certes affaire de dosage – il ne s’agit pas de dénaturer la partition en surinterprétant le moindre silence ou de marquer chaque modulation – mais les Diotima tombent presque dans un excès d’exactitude. Cela va jusqu’à la définition du son lui-même : à l’exception de Léo Marillier au second violon qui assouplit sensiblement son jeu, ses collègues conservent la sonorité directe, presque tranchante et acide, dont la nature explique la démonstration éclatante du début de programme.

À la fin de ce concert sans entracte, les musiciens trouvent l’énergie de donner en bis un arrangement de la « Farandole » de L'Arlésienne de Bizet. La virtuosité des artistes entraine l’auditoire dans une ronde festive, au cours de laquelle Alexis Descharmes montre à nouveau l’indépendance de ses bras, une main assurant la partie de percussion en martelant la caisse de résonance de son instrument tandis que l’autre assure la définition harmonique de la basse en cordes à vide. Quelques heures plus tard, les nuages provençaux allaient déverser une pluie de cordes assez généreuse pour assurer encore cinquante autres éditions du festival, à n’en pas douter !


Le voyage de Pierre a été pris en charge par le Festival de Quatuors du Luberon.

****1
A propos des étoiles Bachtrack
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“Les gestes, les places et vitesses d’archet sont coordonnés au millimètre”
Critique faite à Cloître de l'Abbaye de Silvacane, La Roque d'Anthéron, le 31 août 2025
Mochizuki, Brains
Berg, Suite lyrique
Ravel, Quatuor à cordes en fa majeur
Quatuor Diotima
Yun-Peng Zhao, Violon
Léo Marillier, Violon
Franck Chevalier, Alto
Alexis Descharmes, Violoncelle
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