« Féerie potagère » (L. Pelly), l’invraisemblable Roi Carotte (1872) fait aujourd’hui son brillant comeback sur la scène musicale, après une éclipse quasi totale depuis 1877 malgré ses triomphes à Paris, Londres, New York et Vienne. Si la version initiale en quatre actes prévoyait un déluge de cent vingt artistes sur scène, des dizaines de décors et des centaines de costumes durant six heures, Agathe Mélinand a adapté la deuxième version d’Offenbach en trois actes et onze tableaux d’une longueur très digeste. Si l’aspect féerique prend nettement moins de place désormais, la bouffonnerie lyonnaise est pourtant réussie : chouette redécouverte d’une œuvre assez politique d’Offenbach, et divertissante comme pas deux.
L’assiette végétarienne est vite dressée : dans l’imaginaire ville de Krokodyne, prince Fridolin XXIV se fait détrôner et piquer sa fiancée par une vilaine racine orangeâtre, et doit fuir le royaume, pour avoir osé défier la sorcière Coloquinte, assez rancunière. Sur le chemin de la reconquête du pouvoir, le librettiste Victorien Sardou (sur la base du conte hoffmannien de Klein Zacharias genannt Zinnober) a posé nombre d’obstacles et de digressions, qui entraînent la petite équipe des résistants (Fridolin, Rosée-du-Soir, Robin-Luron et quelques acolytes) jusque vers Pompéi, conquérir un anneau magique qui, finalement, ne servira pas à grand-chose, mais aura au moins valu le déplacement.
La jeune direction musicale de Victor Aviat met quelque temps à s’installer confortablement. L’ouverture pétille, mais le son est d’abord un peu plat ; les premiers violons luttent pour régler la justesse et la première intervention du mezzo-soprano Julie Boulianne en Robin-Luron (une bonne actrice, au timbre assez léger) est malheureusement trop couverte par l’orchestre. Mais dès ses premières prises de parole, le chœur, dont la joie estudiantine est puissante dans le premier tableau – carabins et carabines en plein bizutage et binch drinking dans une brasserie – sera tout au long de l’opéra un vecteur efficace du style typique d’Offenbach, même si quelquefois le contact avec l’orchestre se perd, menant ainsi à des décalages. C’est dans ce décor burlesque que s’établit le premier contact entre Fridolin XXIV et sa promise. Ces deux premiers rôles ont reçu une distribution plus que digne : l’expérience dans le répertoire d’opérette et d’opéra dont dispose Yann Beuron, en plus de son timbre de ténor rond et puissant font de lui un choix aussi parfait que l’est Cunégonde, alias Antoinette Dennefeld. Son pétulant mezzo-soprano, également rompu à l’opéra bouffe, est chaleureux, son jeu frais et impertinent. Avec sa particulière légèreté et un charme indéniable, Chloé Briot en Rosée-du-Soir donne à entendre de très beaux passages, des coloratures rivalisant avec la flûte ou ses partenaires de duos.