ENFRDEES
The classical music website

Klaus Mäkelä et le Concertgebouw en majesté pour la clôture du George Enescu Festival

Par , 26 septembre 2023

Le week-end dernier, c'est au Concertgebouw d’Amsterdam qu'il revenait de conclure par deux concerts l’édition 2023 du George Enescu Festival. La prestigieuse phalange hollandaise était dirigée par son « artistic partner and chief conductor-designate », le jeune chef finnois qu’on connaît bien à Paris désormais, Klaus Mäkelä, pour deux programmes aussi contrastés que possible, dans leur conception... et dans leur réalisation.

Klaus Mäkelä et l'Orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam au George Enescu Festival
© Andrei Gîndac

Le concert de clôture du dimanche soir est à inscrire en lettres d’or dans l’histoire du Festival et dans les mémoires des presque 4000 spectateurs qui y ont assisté dans l’immense Salle du palais de Bucarest. Après le tribut payé par les Amstellodamois au pays et au Festival qui les accueille – une bien indigeste Ouverture sur des thèmes populaires roumains d’Enesco, où l’on est bien en peine de retrouver l’inspiration et la verve de sa Première Rhapsodie roumaine –, place à la monumentale Troisième Symphonie de Mahler, la plus longue du compositeur.

Si on appréhendait un peu la rencontre du jeune chef avec un chef-d’œuvre aussi impressionnant, les premières mesures signent une interprétation qui va s’inscrire parmi les plus inspirées qu’on ait jamais entendues en concert. Et quel bonheur de retrouver le fabuleux Concertgebouw dans toute sa splendeur ! C’est l’orchestre mahlérien par excellence. 

Mäkelä nous surprend une fois de plus par sa capacité à construire la grande arche, à tenir fermement le gouvernail, tout en respectant le foisonnement d’atmosphères voulu par Mahler dans un premier mouvement qui est une symphonie en soi : un appel solennel de huit cors jouant pavillon haut introduit le mouvement, suivi par les percussions en une série de piliers sonores vertigineux, pour s'atténuer soudain dans la profondeur des trombones et du tuba. S’ouvre un univers minéral, tour à tour grinçant, inquiétant (les stridences des trompettes) qui débouche sur un épisode typiquement mahlérien où alternent marches, défilés joyeux, l’évocation d’une journée de printemps, sonorités éthérées et fracas héroïques. Là où bien d’autres s’attardent, soulignent les ruptures, le chef finnois unifie la trajectoire, sans pour autant restreindre la puissance évocatrice du discours. Un tour de force comme seul un Boulez nous en semblait capable.

Klaus Mäkelä et l'Orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam au George Enescu Festival
© Andrei Gîndac

Les mouvements centraux confirment amplement la prodigieuse démonstration du jeune chef. Ce sont d'abord les deuxième (Tempo di Minuetto) et troisième (Comodo. Scherzando) qui sont comme des respirations pastorales (« la page la plus insouciante que j'ai composée, insouciante comme seules savent l'être les fleurs », disait Mahler). On y retrouve l’inspiration populaire, les bals viennois, la Nature en majesté, la nostalgie de l’enfance heureuse (avec cor de postillon en coulisse). De nouveau, Mäkelä conduit ces épisodes enchaînés avec une liberté et une souplesse pourtant rigoureuses.

La voix charnue et sensuelle de Jennifer Johnston délivre ensuite un « O Mensch » aussi fervent que recueilli, tandis que les enfants du Chœur de la Radio roumaine ne surjouent pas le Lustig im Tempo du cinquième mouvement. 

Klaus Mäkelä nous bouleverse ensuite au-delà de l'imaginable dans le Langsam final – un sommet de l'œuvre de Mahler – en laissant chanter éperdument son admirable orchestre, se laissant peut-être lui-même gagner par l'émotion qu'engendre presque inévitablement cet hymme à l'amour divin et cette ode à la paix retrouvée après le fracas du monde. Les pupitres du Concertgebouw se surpassent, dans la douceur comme dans la puissance, comme pour dire leur gratitude à un chef, leur futur chef, qui les et nous a menés ce soir vers de tels sommets.

On en oublierait presque le concert de la veille, sur lequel on n’a pas envie de trop s’attarder. Pourtant Ravel (avec ses deux concertos pour piano) et Debussy avaient de quoi mettre en appétit, surtout avec la présence d’une star comme Yuja Wang. Mais rien n’a vraiment fonctionné, en commençant par un Prélude à l’après-midi d’un faune qui tenait plus de la sieste post-prandiale que de l’éveil d’une danse sensuelle. 

Yuja Wang, Klaus Mäkelä et l'Orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam
© Andrei Gîndac

Suit le Concerto pour la main gauche où l'on est curieux d’entendre la pianiste chinoise. Première surprise : depuis le fond du parterre où, la veille, on entendait très distinctement le piano de Kirill Gerstein, on tend cette fois-ci l’oreille pour percevoir un clavier émacié, privé de puissance, et surtout stylistiquement complètement à côté de la plaque. Quand Ravel regarde ouvertement du côté de Gershwin, la pianiste fait du Rachmaninov ou du Scriabine, le sfumato de ses pianissimos n’a rien à faire ici.

Pas mieux après l’entracte : dans le Concerto en sol, le premier et le dernier mouvements sont pris à un tempo d’enfer mais le piano est toujours engorgé, à l’exact opposé de la clarté solaire que demande Ravel. Le pire restera le mouvement médian, pourtant lui pris au bon tempo, où l’on n’entend tout simplement pas la soliste qui s’avère incapable d’énoncer cette simple mélodie si mozartienne d’inspiration. 

Dans La Mer, on retrouvera heureusement les couleurs d’un orchestre qui a si souvent fréquenté Debussy avec Bernard Haitink, mais Klaus Mäkelä reste sur la réserve, comme s’il ne trouvait pas la clé des trois mouvements de cette symphonie qui ne dit pas son nom. C'est donc bien la mémorable Troisième de Mahler qu'on retiendra de ce week-end amstellodamois en Roumanie, et notamment sa fabuleuse « déclaration d’amour » conclusive, formidable façon de clôturer cette édition 2023 du George Enescu Festival.


Le voyage de Jean-Pierre a été pris en charge par le George Enescu Festival.

****1
A propos des étoiles Bachtrack
Voir le listing complet
“Klaus Mäkelä nous bouleverse au-delà de l'imaginable”
Critique faite à Sala Palatului (Salle du palais), Bucarest, le 24 septembre 2023
Enesco, Ouverture sur des thèmes populaires roumains en la majeur, Op.32
Mahler, Symphonie no. 3 en ré mineur
Chœur de la Radio roumaine
Klaus Mäkelä, Direction
Jennifer Johnston, Mezzo-soprano
Critique faite à Sala Palatului (Salle du palais), Bucarest, le 23 septembre 2023
Debussy, Prélude à l'après-midi d'un faune
Ravel, Concerto pour piano en ré majeur pour la main gauche
Ravel, Concerto pour piano en sol
Debussy, La Mer
Klaus Mäkelä, Direction
Yuja Wang, Piano
Un rêve incarné : Dvořák par Iván Fischer et le Concertgebouw
*****
Des plumes à la place des marteaux : Chung, Ax et le Concertgebouw
*****
La musique au centuple : Paavo Järvi et le Concertgebouw
*****
Klaus Mäkelä, Sol Gabetta et le Concertgebouw à Bozar : du grand art
*****
L'élégance d'Iván Fischer et du Concertgebouw à Bozar
*****
Bychkov et le Concertgebouw d'Amsterdam à la Philharmonie
****1
Plus de critiques...