On n’imaginait pas, dans la chaleur de l’été portugais, en assistant à une Cinquième Symphonie de Mahler en plein air, avec un orchestre et un chef qui nous étaient alors inconnus, tout le chemin qu’allait parcourir Dinis Sousa en quelques mois. Sans doute le retrait contraint de John Eliot Gardiner, dont le jeune Portugais était l’assistant, a-t-il contribué à la soudaine accélération de sa carrière : Les Troyens de Berlioz, une tournée en Amérique du nord avec le Monteverdi Choir and Orchestra, et maintenant un marathon Beethoven à la Philharmonie de Paris...
Le Monteverdi Choir et l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique se sont donc installés pour cinq jours et quatre soirées Porte de Pantin, proposant une presque intégrale des symphonies de Beethoven (ne manquent que la Première et la Huitième) et une vraie bonne surprise, la « petite » Messe en ut, qu’à la différence de la Missa solemnis on n’entend jamais en concert, et on se demande bien pourquoi !
Pour le premier des quatre concerts que l’ensemble donne à Paris, Dinis Sousa n’a pas choisi la facilité en entamant le cycle par la Sixième Symphonie « Pastorale », sans doute la plus redoutée par les chefs beethovéniens parce que construite à rebours de toutes les autres, comme un vaste poème symphonique enchaînant divers épisodes. Pas de portique d’entrée, pas d’introduction lente, juste une phrase presque guillerette, comme surgie à l’improviste pour illustrer « l’éveil d’impressions joyeuses en arrivant à la campagne », titre du premier mouvement.
Ce qui frappe d’emblée, là où nous sommes placé au neuvième rang du parterre, c’est la couleur boisée de l’orchestre, rehaussée de quelques acidités dans les cordes aigües. Assez typiquement « british » si l’on compare aux formations françaises de même nature. Mais on aura souvent le regret de ne pas entendre plus distinctement les bois, et spécialement les cors pourtant placés en léger surplomb des cordes.
On va vite retrouver ce qui faisait la caractéristique de la direction du jeune chef portugais dans Mahler : il se « contente », si l’on ose dire, de diriger tout et seulement tout ce qui est expressément écrit. Deux gestes peuvent le décrire : une main gauche qui pointe, fixe les moments décisifs, les accents, les changements de tempo, les prises de parole des différents pupitres, et la même main ouverte vers le ciel qui exhorte les musiciens, élève le discours. Le chef bouge, impulse, mais ne fait rien qui n’ait sens, témoignant d’une exceptionnelle maîtrise de la masse orchestrale comme d’un absolu respect de la partition.
Cette Pastorale va de surcroît révéler la conception que Dinis Sousa a de ce corpus beethovénien : situer les œuvres très exactement dans leur époque, sans les surcharger ni du poids de l’histoire ni de ce qui est devenu depuis soixante ans une forme de tradition de « l’historiquement informé ». Tout semble découler d’une vision organique, allègre et humaine. Sousa prend le temps de s’émerveiller des joies de la campagne, la « scène au bord du ruisseau » est bucolique à souhait, l’imitation du rossignol, de la caille et du coucou qui clôt le deuxième mouvement nous donne l’occasion d’entendre les merveilleux Marten Root à la flûte, Michael Nieseman au hautbois et Nicola Baud à la clarinette. Tout comme un fantastique timbalier dans l’orage du quatrième mouvement en la personne de Robert Kendell.