Un ballet en trois actes d'après la Divine Comédie, sur une partition originale de Thomas... Adès – un nom ici révélateur –, c'est l'extraordinaire ambition que Wayne McGregor a concrétisée au Royal Ballet en 2021 et qui entre au répertoire de l'Opéra de Paris en ce mois de mai. À l'image de l'œuvre qu'il illustre, The Dante Project est dense, abscons, métaphorique, avec en prime cette scénographie contemporaine efficace qui est la signature de l'univers du chorégraphe. Car The Dante Project est d'abord une réussite visuelle, avec une caractérisation (a minima) des trois royaumes des morts (l'Enfer, le Purgatoire, le Paradis), imaginée par Tacita Dean et Lucy Carter. Le vocabulaire chorégraphique est quant à lui moins surprenant, le style McGregor faisant la synthèse de Forsythe – pour les danses d'ensembles – et de McMillan – pour les portés extatiques – quand il n'emprunte pas à la danse contemporaine, avec des solos plus terriens, moins académiques. Quant au propos, il était dès l'origine trop complexe pour être restitué sans un parti pris affirmé. Ainsi, The Dante Project propose un spectacle syncrétique, intéressant mais désarticulé.
La scène d'ouverture est vertigineuse : une chaîne de montagnes noirâtres plantées à l'envers comme des vagues en pleine tempête, une musique aux accents stridents, la gestuelle torturée de Dante (Germain Louvet) qui dit toute la douleur de l'Enfer. Et puis les 45 minutes de l'acte I s'essoufflent lentement, comme si l'apogée avait été offert d'emblée. Divers pénitents, hommes et femmes vêtus d'un académique noir-gris, se succèdent pour représenter un péché et le châtiment associé mais leur histoire est peu audible. La qualité narrative du ballet fait d'ailleurs souvent défaut, l'abstraction étant reine. Cet Enfer-là est froid, bien que l'engagement des danseurs soit total. On remarque d'ailleurs la toute nouvelle étoile, Guillaume Diop, à la puissance à la fois féline et noueuse.
Fidèle au livre, Dante, guidé par Virgile, est tantôt acteur, tantôt observateur du périple, sans toutefois qu'une épaisseur dramatique émerge vraiment. Germain Louvet, longtemps abonné aux rôles princiers, se dévoile dans un registre plus torturé mais se retrouve un peu limité par la dimension souvent passive et introspective de son personnage. Ce qui est évident à l'écrit l'est moins en scène. Avec son usage excessif d'allusions, ce projet dantesque manque de sous-titres. La musique haute en couleur composée pour l'occasion par Adès dissémine des repères plus évocateurs, quitte à dérouter – par exemple quand elle prend soudainement une tournure circassienne. Du premier acte, on retient également les petites menées saccadées d'un groupe de danseuses, réminiscence glaçante des Willis, des pas de deux acrobatiques voire brutaux et l'apparition de Satan sous des traits féminins (Valentine Colasante).