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Daniel Harding et la promesse d'une Walkyrie à l'Orchestre de Paris

Par , 26 septembre 2025

Quatre ans après un concert Wagner mémorable, l’Orchestre de Paris retrouvait le premier acte de La Walkyrie à la Philharmonie avec son ancien directeur musical Daniel Harding, souvent admirable dans les œuvres vocales denses. Autant dire qu'on attendait avec beaucoup de curiosité ce concert.

Daniel Harding dirige l'Orchestre de Paris à la Philharmonie
© Denis Allard

Mais avant cela, les interprètes ont proposé une intéressante première partie autour de la représentation musicale de la nature. L’ouverture de La Kovanchtchina de Moussorgski évoque un lever de soleil sur la Moskova au cœur de la capitale russe. Après une série d’interventions successives manquant de liant, l’orchestre trouve une certaine homogénéité une fois que le thème principal échoit aux premiers violons. La musique fait alors couler toute la représentation romantique de la scène, où l’on comprend que le soleil réchauffe doucement une ville paisible sous un ciel sans nuage. Le trémolo final, brume lumineuse sur laquelle s’épanouit magnifiquement le nouveau cor solo de l’orchestre Gabriel Dambricourt, s’évanouit dans une nuance pianissimo à la limite du perceptible.

Le contraste avec Tapiola de Sibelius est saisissant. Le compositeur finlandais réussit le tour de force d’exprimer la nature elle-même sans y transposer une quelconque représentation anthropomorphique. D’un geste éloquent, comme extrayant la matière sonore de la terre, Harding fait émerger la phrase des cordes du court roulement de timbale, avant que les bois ne prolongent le discours dans un fondu de timbre étonnant. On ne comprend pas toujours où Sibelius veut nous emmener, mais on ressent une certaine lame de fond à laquelle on s’abandonne, traversé par le souffle de la nature. Cordes et bois définissent deux entités complémentaires, fusionnant au gré des mesures dans un continuum de textures palpables. Un dernier accord de cathédrale, nourrissant, que le chef fait vivre sur toute sa durée en le transformant en un magma latent et profond, achève de magnifier le son organique de l’orchestre.

L’homogénéité de ce son d’orchestre, sa profondeur, son énergie et son expressivité vont faire merveille dans Wagner. Au-delà de la satisfaction intellectuelle du wagnérien ergotant qui identifie les leitmotive sans peine grâce à la hauteur de vue de Harding, ce premier acte de La Walkyrie marque par le plaisir physique qu'il procure. L’auditeur ressent véritablement l’action, depuis la rugosité poreuse de la fuite dans la tempête jusqu’aux éclats euphorisants de l’exultation qui conclut la page, en passant par la rudesse menaçante et le magnétisme amoureux de l’intrigue. L’orchestre, qui avait déjà fait ses preuves en mars dernier dans un Ring sans paroles de haute tenue, dépasse le stade de la force émotionnelle brute et incarne pleinement le rôle de personnage-narrateur qui fait le succès des interprétations réussies des opéras de Wagner. L’ensemble des pupitres de cordes est le pivot de cette réussite, avec un pupitre de violoncelles irrésistible, emmené par le lyrisme capiteux de Stéphanie Huang.

En connaisseur des lieux, Harding n'est pas le seul à savoir exploiter toutes les possibilités de la grande salle Pierre Boulez : Stephen Milling en prend également toute la mesure. La voix de ce géant qui ferait trembler Teddy Riner est d’une puissance ahurissante, sans que jamais la basse ne donne l’impression de forcer. Quand son Hunding accueille officiellement chez lui Siegmund en disant « Voici ma maison », les murs de la Philharmonie sont proches de trembler. Un éternuement non maîtrisé de sa part, et voilà le bâtiment réduit en poussière !

Face à cette volonté terrifiante, on comprend que Siegmund prenne la fuite, même armé de Notung son épée magique. D’autant que Jamez McCorkle n’a pas le même coffre. Si le ténor américain fait montre d’une volonté de phraser chacune de ses interventions, avec quelques mezza voce intéressants, la voix s’essouffle au milieu de l’acte, avant de reprendre du poil de la bête pour le dernier quart d’heure.

Le jeu de scène de cette version de concert place intelligemment Sieglinde au centre du plateau, entre les deux antagonistes. Miina-Liisa Värelä en dresse un portrait convaincant à tout point de vue, avec un caractère qui s’affirme à mesure que le personnage s’émancipe de la tutelle brutale de son mari. Son prodigieux registre grave ne semble pas connaître de faiblesse tandis que son vibrato ample et onctueux se déploie en majesté quand la ligne s’élève.

Une ovation méritée acclame les artistes : alors qu’un tiers des sièges est vide, le public fait autant de bruit que lorsque la salle est comble. Il demande en creux la programmation d’un cycle complet du Ring avec cette qualité d’interprétation. On ne peut qu'adhérer... Et si cela nous est refusé, on ira dans les bureaux accompagnés de Stephen Milling pour appuyer nos arguments !

****1
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“La voix de ce géant qui ferait trembler Teddy Riner est d’une puissance ahurissante”
Critique faite à Philharmonie de Paris: Grande salle Pierre Boulez, Paris, le 25 septembre 2025
Moussorgski, La Khovanchtchina: ouverture
Sibelius, Tapiola, poème symphonique pour orchestre, Op.112
Wagner, La Walkyrie (Die Walküre): acte 1
Orchestre de Paris
Daniel Harding, Direction
Miina-Liisa Värelä, Soprano
Jamez McCorkle, Ténor
Stephen Milling, Basse
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