Hopkinson Smith est un homme discret que les spécialistes des instruments anciens à cordes pincées considèrent comme un maître. Professeur à la Schola Cantorum de Bâle, il a été l’une des figures de proue du renouveau de la musique ancienne tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, accompagnant la création de l’ensemble Hesperion XX, formant des générations de luthistes, faisant découvrir au public des répertoires dont la tradition interprétative s’était perdue. Rencontre avec un musicien singulier animé d’un esprit de recherche permanente.
JL : D'où ce goût pour la musique ancienne vous vient-il ?
HS : Je suis né à New York City mais ma famille est originaire de la campagne, dans l’État de New York. Ma grand-mère était musicienne, elle savait bien des choses mais ne nous faisait guère partager cet intérêt. Cependant la musique a toujours été présente dans ma vie ! Quand j’étais enfant, j’ai étudié le piano… Plus tard, je jouais les instruments qui manquaient dans la fanfare du lycée. En même temps, j’ai commencé à jouer des musiques populaires à la guitare, à apprendre le banjo, la mandoline… Il y a quelque chose de commun à toutes ces pratiques : elles reposent sur un même état d’esprit, celui d’une recherche permanente ! Une recherche des évolutions possibles vers de nouvelles dimensions à découvrir dans les répertoires.
Ce n’est cependant que vers dix-neuf ou vingt ans que j’ai commencé l’étude de la guitare classique à un haut niveau. À partir de cette époque de ma vie, j’ai été véritablement possédé par le désir de jouer des instruments à cordes pincées et je m’y suis consacré entièrement, en commençant l’étude du luth. Entre mes vingt et vingt-cinq ans, j’ai assisté aux cours d'été d'Emilio Pujol [1886–1980, ndlr] en Catalogne, près de Lérida. Il accueillait des étudiants non pour une master-class de quelques jours mais pour une période de trois semaines, suffisamment longue pour entrer dans le fond des choses. J'ai été extrêmement touché, impressionné. Il avait une connaissance étendue de la guitare renaissance et baroque, du luth ou de la vihuela. Il transcrivait des œuvres anciennes ou baroques pour la guitare moderne. Auprès de lui, les musiciens mais aussi les poètes, les peintres, les écrivains pouvaient puiser énergie, inspiration, sens des valeurs de l'art. C'était la première fois de ma vie que j'entendais parler de cela, de la responsabilité de l'artiste.
Lorsque j'ai terminé mes études universitaires, en 1973, je suis venu en Suisse pour étudier le luth avec Eugen Dombois [1931–2014, ndlr] à la Schola Cantorum de Bâle. Son sens stylistique, sa subtilité, son geste, m'ont ouvert des horizons que je ne soupçonnais pas.
Vous avez participé à la création de l'ensemble Hesperion XX puis vous avez commencé à mener, un peu plus tard, une activité de soliste. Comment votre carrière de concertiste s'est-elle développée ?
La naissance de Hesperion XX n'est pas, au commencement, le fruit d'un projet élaboré. Il y avait trois ou quatre musiciens qui se sont réunis pour préparer un concert à Freiburg im Breisgau, sans donner de nom à l’ensemble ainsi constitué : Jordi Savall, Montserrat Figueras, Lorenzo Alpert [actuel directeur artistique du Concerto Köln, ndlr] et moi-même. Nous avons ensuite continué de nous produire en concert, de plus en plus souvent, et nous avons effectué notre premier enregistrement : un double album consacré aux musiques chrétiennes et juives dans l'Espagne du XVe-XVIe siècle. C'est Jordi qui a découvert le nom de « Hesperion » quelques semaines après cet enregistrement. C'était une époque chargée de dynamisme, d'énergie positive, de découverte, d'échanges personnels. Nous avions beaucoup d'idées et Jordi s’occupait plutôt de la direction artistique.
Pour ma part, j'ai pris ensuite une orientation différente. À l'accroissement du nombre de musiciens de Hesperion XX, j'ai préféré le développement d'une activité de soliste spécifiquement tournée vers la mise en valeur des répertoires pour instruments à cordes pincées anciens. Cela s'est réalisé lentement, il n'y a pas eu de décision amenant ce changement d'un jour à l'autre. De leur côté, Montserrat et Jordi sont partis résider en Espagne. Je me suis rendu compte que pour réaliser mes projets tels que je les envisageais, je devais m'y consacrer entièrement. L'activité de soliste ne consiste pas seulement à être seul sur scène lors d'un concert : ce sont surtout des heures et des heures que je passe avec l'instrument pour rechercher et trouver l'équilibre personnel, musical, en accord avec les différents répertoires.
Actuellement, je me tourne aussi vers l'accompagnement du chant. Il y a un répertoire abondant pour la voix accompagnée par les instruments à cordes pincées. Je travaille depuis un certain temps avec une soprano argentine, Mariana Flores. Elle possède une très forte personnalité sur scène, capable d'exprimer aussi bien la passion la plus forte que la plus délicate sensibilité, chantant alors très piano. Nous avons beaucoup cherché ensemble comment obtenir unité et équilibre entre les deux parties et nous avons réalisé plusieurs projets pour vihuela, luth et guitare baroque avec voix.