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Le marathon Beethoven de Dinis Sousa à la Philharmonie (3) : l'apothéose finale

Von , 31 Mai 2024

Après un week-end riche en émotions musicales à la Philharmonie de Paris, le Monteverdi Choir a regagné ses pénates londoniennes, laissant le soin à sa formation jumelle, l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique, de poursuivre et achever le marathon Beethoven conçu par John Eliot Gardiner et réalisé sous la direction de Dinis Sousa. Ce mardi soir, le plateau de la grande salle Pierre Boulez semble soudain immense. On entendra beaucoup mieux les vents et les cors qui sonnaient petit au milieu de la masse chorale. Au programme, les Troisième et Quatrième Symphonies, rarement couplées tant au disque qu’au concert. Le contraste est total entre deux œuvres composées à quatre ans de distance. 

Dinis Sousa dirige l'Orchestre Révolutionnaire et Romantique à la Philharmonie
© Ondine Bertrand / Cheeese

C’est dans l’ordre inverse de leur composition qu’elles sont présentées ce soir, à juste raison. La Quatrième ressemble, dans sa forme comme dans son humeur générale, à la Deuxième. Elle est contemporaine du Concerto pour violon. Ces deux partitions de 1806 respirent la lumière, comme si Beethoven voulait renouer avec l’idéal classique après la révolution opérée avec sa Troisième Symphonie. Pourtant, il y a bien des nouveautés dans cet opus 60 : cette introduction si mystérieuse en si bémol mineur, le rythme pointé de l’accompagnement de la belle mélodie lyrique de l’Adagio, l’irrésistible élan d’un finale endiablé. L’orchestre n’a pas besoin d’être beaucoup sollicité par la baguette énergique de Dinis Sousa pour s’en donner à cœur joie, au risque d'en rester à une vision un peu univoque.

Dinis Sousa dirige l'Orchestre Révolutionnaire et Romantique à la Philharmonie
© Ondine Bertrand / Cheeese

En revanche, Dinis Sousa et ses musiciens vont nous bluffer dans une « Eroica » absolument magistrale. Le seul Allegro con brio initial et son foisonnement de thèmes, d’audaces harmoniques, de modulations qui jaillissent des deux accords péremptoires en mi bémol majeur du début, est conduit avec une jubilation contagieuse dans un mouvement certes irrépressible mais qui sait respirer, se dégager quand il le faut de l’emprise métronomique. La marche funèbre est d’une beauté à pleurer, Sousa fait chanter éperdument son orchestre avec une douceur, un recueillement loin de toute théâtralité. Que la mort semble belle quand elle est ainsi accompagnée !

Le scherzo qu’on dit si délicat à mettre en place – l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique s’y révèle au cordeau – préfigure l’humeur agreste de la future Pastorale et son trio nous permet de savourer, cette fois parfaitement audibles, les trois cors naturels d’Anneke Scott, Joseph Walters et Peter Moutoussis. Le finale est empoigné avec une ardeur féroce mais l'exposé du thème « héroïque » et la floraison de variations que Beethoven y développe sont traités par le chef avec un soin du détail, un sens des transitions extraordinaires, et servis par un orchestre d'une hallucinante virtuosité collective.

Dinis Sousa dirige l'Orchestre Révolutionnaire et Romantique à la Philharmonie
© Ondine Bertrand / Cheeese

Le lendemain, ce sont deux apothéoses qui se conjuguent pour l’ultime étape de ce marathon Beethoven, les deux symphonies les plus affirmatives, les plus immédiates aussi pour le public : la Cinquième et son « destin » victorieux, et la Septième décrite par Wagner comme une « apothéose de la danse ».

On s’était naguère amusé à faire compter par un jeune public le nombre de fois où, dans le seul premier mouvement de la Cinquième, le motif initial de quatre notes – le fameux « pom pom pom pom » – était cité. Personne n’y était arrivé et chacun avait pu mesurer le tour de force du compositeur consistant à écrire tout un mouvement à partir d’une cellule aussi simple, développée à l’infini. Il faut saluer Dinis Sousa pour son énergie conquérante dans un premier mouvement frénétique. Altos et violoncelles énoncent ensuite avec une douceur ineffable le thème de l'Andante con moto, rejoints par les bois et les cuivres, guidés par un chef qui fait baigner tout le mouvement dans une lumière tamisée. Suit un Allegro avec un épisode fugué incroyable de feu et de vigueur qui va déboucher sur l'irrésistible crescendo vers le finale et sa marche victorieuse et libératrice. Dinis Sousa ne force pas le trait martial, il exalte plutôt la joie conquérante de l'Humanité telle que la célèbre Beethoven.

Dinis Sousa applaudit l'Orchestre Révolutionnaire et Romantique
© Ondine Bertrand / Cheeese

La Septième Symphonie est sans doute la moins complexe, la plus directement perceptible sans arrière-plan dramatique. Chaque mouvement repose sur quelques motifs, parfois une seule cellule rythmique (croche pointée, double croche). Après la débauche d'énergie déployée dans la Cinquième, Dinis Sousa et ses musiciens accusent parfois un peu de fatigue dans cette Septième qui repose tout entière sur une inexorable scansion. Mais on leur sait gré de ne pas alentir l'Allegretto du second mouvement, là où tant d'interprètes en font une marche funèbre, de laisser s'envoler le Presto qui suit, et de ne pas saturer l'Allegro con brio final qui est certes pris prestement mais sans une précipitation qui nuirait à « l'insolence bénie de la joie qui nous emporte avec une puissance de bacchanale à travers l'immensité de la nature » (Wagner). Mission accomplie pour les musiciens et leur jeune chef, au terme d'un projet qui n'était pas le sien et d'un défi qu'il a brillamment relevé !

****1
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“un orchestre d'une hallucinante virtuosité collective”
Rezensierte Veranstaltung: Philharmonie de Paris: Grande salle Pierre Boulez, Paris, am 28 Mai 2024
Beethoven, Symphonie Nr. 4 in B-Dur, Op.60
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Orchestre Révolutionnaire et Romantique
Dinis Sousa, Musikalische Leitung
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