Après un week-end riche en émotions musicales à la Philharmonie de Paris, le Monteverdi Choir a regagné ses pénates londoniennes, laissant le soin à sa formation jumelle, l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique, de poursuivre et achever le marathon Beethoven conçu par John Eliot Gardiner et réalisé sous la direction de Dinis Sousa. Ce mardi soir, le plateau de la grande salle Pierre Boulez semble soudain immense. On entendra beaucoup mieux les vents et les cors qui sonnaient petit au milieu de la masse chorale. Au programme, les Troisième et Quatrième Symphonies, rarement couplées tant au disque qu’au concert. Le contraste est total entre deux œuvres composées à quatre ans de distance.
C’est dans l’ordre inverse de leur composition qu’elles sont présentées ce soir, à juste raison. La Quatrième ressemble, dans sa forme comme dans son humeur générale, à la Deuxième. Elle est contemporaine du Concerto pour violon. Ces deux partitions de 1806 respirent la lumière, comme si Beethoven voulait renouer avec l’idéal classique après la révolution opérée avec sa Troisième Symphonie. Pourtant, il y a bien des nouveautés dans cet opus 60 : cette introduction si mystérieuse en si bémol mineur, le rythme pointé de l’accompagnement de la belle mélodie lyrique de l’Adagio, l’irrésistible élan d’un finale endiablé. L’orchestre n’a pas besoin d’être beaucoup sollicité par la baguette énergique de Dinis Sousa pour s’en donner à cœur joie, au risque d'en rester à une vision un peu univoque.
En revanche, Dinis Sousa et ses musiciens vont nous bluffer dans une « Eroica » absolument magistrale. Le seul Allegro con brio initial et son foisonnement de thèmes, d’audaces harmoniques, de modulations qui jaillissent des deux accords péremptoires en mi bémol majeur du début, est conduit avec une jubilation contagieuse dans un mouvement certes irrépressible mais qui sait respirer, se dégager quand il le faut de l’emprise métronomique. La marche funèbre est d’une beauté à pleurer, Sousa fait chanter éperdument son orchestre avec une douceur, un recueillement loin de toute théâtralité. Que la mort semble belle quand elle est ainsi accompagnée !
Le scherzo qu’on dit si délicat à mettre en place – l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique s’y révèle au cordeau – préfigure l’humeur agreste de la future Pastorale et son trio nous permet de savourer, cette fois parfaitement audibles, les trois cors naturels d’Anneke Scott, Joseph Walters et Peter Moutoussis. Le finale est empoigné avec une ardeur féroce mais l'exposé du thème « héroïque » et la floraison de variations que Beethoven y développe sont traités par le chef avec un soin du détail, un sens des transitions extraordinaires, et servis par un orchestre d'une hallucinante virtuosité collective.