Daniel Barenboim a 74 ans, il appartient à la race des musiciens universaux et nul ne songera à remettre en question le savoir-faire d’un homme ayant eu telle carrière, passant allégrement du piano au pupitre, quand il ne conjugue pas les deux. Mais au-delà du bonheur sonore, impérissable, est-on en droit d’attendre du maestro un engagement plus tangible en concert ?
Ce soir, le Concerto n°23 de Mozart confirme une fois de plus qu'il ne suffit pas d'être un grand pianiste pour faire un grand concert. Barenboim n’a certes plus rien à nous prouver dans Mozart, qu’il a amplement enregistré, mais est-ce une raison pour se montrer si las, si déconcentré ? Car autant le phrasé est galbé, le style est sûr, autant la propreté et la densité du propos ne sont pas au rendez-vous. Heureusement que son jeu volontairement ductile (dans les passages délicats) et agrémenté de fulgurances (là où elles ne posent pas de danger) lui a permis de gagner par la couleur, par l’insinuation, ce que sa préparation, techniquement vulnérable, lui aurait interdit d’exprimer avec plus de fermeté. Bien sûr, ce concerto est bien loin d’être un naufrage, ne serait-ce que parce que la Staatskapelle de Berlin y est splendide comme d'habitude et que Barenboim sait faire sonner un orchestre. Mais quel dommage que le pianiste n’y mette plus l’application jalouse, et le soupçon de pudeur artiste qu’il pouvait manifester jadis, et par là accroître au centuple notre plaisir d’auditeur !
Là où la jeune génération des grands chefs (celle qui a aujourd’hui la quarantaine) ose désormais exprimer une subjectivité renforcée, vivifiée par le souci du texte, les Bruckner de Barenboim laissent présager d’une vision toute autre. Dans cette 9ème Symphonie qu'il donnait dimanche en clôture de son intégrale, notons tout d’abord qu’il ne possède pas une aussi évidente lisibilité telle que pouvait l'avoir Haitink en compagnie du LSO. Non pas que le chef israélien ne soit sensible à la clarté ou au détail, mais il use d’une approche sonore de nature additive, insufflant poids et énergie sans chercher à infléchir ou à restreindre (un chef comme Andris Nelsons l’aurait modéré du bout des doigts). Ce n’est pas sans raison que la Staatskapelle donne parfois l’impression de s’emballer dans son élan, comme flattée par sa propre profusion sonore. Comme on a déjà pu le constater hier dans sa 8ème, l’évidence structurelle n’est pas sa préoccupation première. Dans le premier mouvement (marqué “Solennel, mystérieux”) Barenboim cherche avant tout à enraciner le son dans des basses musclées, procédant ensuite par empilement successif des strates sonores.