Après son Parsifal de 2011, qui selon certains confinait au sublime, et l’extraordinaire Orphée et Eurydice qu’il avait signé à La Monnaie en 2014, c’est peu dire que cette nouvelle production de La Flûte enchantée due à Romeo Castellucci était attendue avec impatience pour l’ouverture de saison de l’institution bruxelloise, au point que tous les directeurs des principaux opéras européens étaient présents dans la salle lors de la première.
Connaissant l’inventif metteur en scène italien, on pouvait s’attendre à ce que cette Flûte n’ait rien de conventionnel. On fut servi. Avant même que ne retentisse l’ouverture, un homme vêtu d’une combinaison blanche s’avance sur la scène et vise un tube de verre qui pend des cintres et qu’il parviendra à briser à sa troisième tentative. Quant à l’ouverture – menaçante, les cordes de l’orchestre volontairement râpeuses –, elle est illustrée par des espèces de démineurs-manutentionnaires vêtus de noir et d’un masque à gaz qui plient et replient des tapis de sol. Est-ce pour y découvrir une signification cachée ?
Tout le premier acte se déroule comme dans un brouillard, derrière un rideau de tulle blanc. Blanc comme tout le reste : le décor, les costumes et perruques immaculés des protagonistes rococo, gentilshommes et belles dames vêtus à l’identique.
Invoquant dans le programme « un miroir virtuel » et affirmant que « le double dévore l’identité », le metteur en scène choisit de faire systématiquement doubler tous les protagonistes – sauf la Reine de la Nuit – par un figurant qui se tient à leurs côtés et mime ce que l’autre chante. Ici, il est essentiel de connaître l’approche de Castellucci qui élève la Reine en incarnation de la Mère absolue… alors que, prenant le contre-pied de l’interprétation naturelle de l’œuvre, il ne voit pas en Sarastro celle des Lumières, mais un personnage malfaisant dispensateur d’une lumière qui brûle, aveugle et détruit. Passons les deux danseuses, sobrement vêtues d’un string – forcément blanc –, qui sortent d’une espèce de cocon pendant que la Reine de la Nuit s’adresse à un Pamino absent, et la scène où Papageno est libéré de son cadenas, qui donne lieu à un tableau vivant kitschissime avec plumes d’autruche à gogo. La rencontre entre Papageno et Monostatos devient ensuite incompréhensible : en dépit de ce que dit le texte, pourquoi s’effrayer d’un face-à-face avec son semblable, l’oiseleur et le Maure étant pareillement blancs ? Comment comprendre pourquoi ensuite deux figurants noirs aux mains entravées sont menacés de mort par des gentilshommes ? Et pourquoi conclure ce premier acte sur un tableau représentant une lutte des races ?
Le paradoxe est que cette mise en scène qui veut s’attaquer à la convention y revient dans ce que cette dernière a de pire, puisque c’est un retour du concert en costumes si justement décrié qu’il nous offre, les solistes chantant face au public, immobiles. Seule différence : les curieuses poses rigides de(s) Pamino(s), dans le style des figurines Playmobil.
Si la suppression de tous les récitatifs parlés avait transformé le premier acte en une succession d’airs et d’ensembles à la façon d’un best-of de La Flûte (et tant pis si l’on n’y comprend plus grand-chose), le deuxième acte réintroduit la parole sous la forme d’un texte (en anglais), enchaînement de poncifs pseudo-profonds dûs à Claudia Castellucci (sœur du metteur en scène). Projeté d’abord sur le devant de la scène pendant que trois jeunes femmes raccordent tranquillement les embouts d’un tire-lait électrique à leurs seins, le texte s’accompagne d’une musique planante de provenance inconnue. Le lait recueilli dans les biberons sera ensuite versé dans un tube en verre, jumeau de celui brisé au début de la représentation. C’est ensuite qu’arrivent Sarastro et les prêtres, vêtus comme tous les protagonistes de cet acte d’un costume de pompiste beige modèle années 1960, la casquette d’époque remplacée par une perruque blonde.