Paul Verlaine, Francis Jammes, Maurice Maeterlinck, Tristan L'Hermite, Heinrich Heine et Eduard Mörike se côtoyaient lundi soir aux Bouffes du Nord. Le sens de cet étrange « colloque sentimental » ? Le récital que proposaient le baryton Stéphane Degout et le pianiste Cédric Tiberghien. Mêlant lied et mélodie, l'ambitieux programme de la soirée voyait ainsi se succéder des pièces de Claude Debussy, Lili Boulanger, Franz Schubert, Gabriel Fauré et Hugo Wolf. Passant avec agilité du français à l'allemand, sans se départir pour autant d'une diction irréprochable, Stéphane Degout a su mettre en valeur les caractéristiques respectives de ces textes singuliers au cours d'une soirée riche en couleurs.
Quand Stéphane Degout s'empare du Schwanengesang, on ne peut qu'être conquis par l'incroyable subtilité d'un timbre de voix qui s'adapte parfaitement au répertoire schubertien et qui sait en rendre les nuances. Le baryton accommode sa voix aux exigences des différents lieder, déployant une palette étendue de teintes allant des profondeurs d'un chant silencieux, quasi intérieur, aux sommets de l'hystérique fortissimo dans le climax de « Der Doppelgänger ». « Das Fischermädchen » est enlevé ; « Der Atlas », martial. Le piano protéiforme de Cédric Tiberghien plante le décor, utilisant des trémolos maîtrisés pour se faire l'écho du sifflement du vent ou muant la ligne pianistique en étendue liquide dans « Am Meer ». Une seule déception : que le duo n'ait pas choisi d'interpréter intégralement le cycle, se contentant de la portion composée sur les poèmes d'Heinrich Heine.
Dans Hugo Wolf, la même puissance évocatrice est mise au service des poèmes d'Eduard Mörike. Versatile et parfois facétieux, Stéphane Degout se métamorphose successivement en chasseur (« Der Jäger »), en cavalier (« Der Feurreiter ») ou en voix prophétique (« Denk'es, o Seele »). L'interprétation du théâtral « Der Feurreiter » est particulièrement spectaculaire. Avec les qualités d'un conteur, Degout rend toute l'urgence de ce poème évocateur, puis le laisse s'évanouir dans une quasi immobilité tandis que l'accompagnement expressif de Tiberghien sonne le tocsin.
Du côté des mélodies françaises, c'est la solaire Bonne Chanson de Fauré qui ouvrait le récital. Loin d'instaurer une tonalité uniformément optimiste, la lecture de Stéphane Degout s'attache à traduire le caractère fluctuant et ambigu des sentiments que le « je » lyrique éprouve pour l'être aimé. Dans le cycle de mélodies, que Fauré avait composé pour Emma Bardac — laquelle lui préféra Claude Debussy — l'amour se fait en effet tantôt mystique (« Une sainte en son auréole »), tantôt incertain (« Puisque l'aube grandit », « J'ai presque peur en vérité »), tantôt euphorique (« Donc ce sera par un clair jour d'été », « L'hiver a cessé »). Ces contrastes de caractère, frappants d'une mélodie à l'autre, sont rendus avec subtilité par le duo.