La trilogie Mozart-Da Ponte est certainement l'un des événements majeurs de cette saison à La Monnaie, Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil souhaitant en faire une véritable fresque contemporaine d'un seul tenant : transposé dans l'ère de #MeToo et autres scandales sexuels, chaque personnage des nozze di Figaro, de Così fan tutte ou de Don Giovanni fait partie d'une grande et même scène, complexe et grouillante.
Le lever de rideau nous laisse face à la grande maison d'architecte posée sur plateau tournant qui sert de réceptacle aux intrigues des trois opéras ; ce décor est certainement l'un des points forts de cette production puisqu'il garantit à l'intrigue d'évoluer de manière fluide et nerveuse, ses nombreux cloisonnements permettant de cadrer aisément le drame. Chaque personnage se voit ensuite attribuer un métier et un espace de vie dans la maison, à l'image du cabinet de Donna Elvira (devenue ophtalmologiste) ou du cabaret libertin dont Don Giovanni est le propriétaire. Ces informations, apparemment indispensables pour replacer les personnages dans une Bruxelles de 2020, ne leur apportent pourtant pas beaucoup de profondeur.
Quelques incohérences dans la caractérisation des personnages couplées à une direction d'acteur globalement hasardeuse nuisent à la structure dramatique de l'ensemble : on reste perplexe quant aux capacités de séduction du rôle-titre, titubant et ostensiblement pervers, tandis que Donna Anna, nymphomane fétichiste, passe sans raison du plaisir à la détresse lors de son « agression »... On peinera également à comprendre la soudaine performance de pole dance de Donna Elvira, entrecoupant sa crise de larmes lors de l'air du catalogue.
La conception du Commandeur déçoit tout autant. La vengeance du père déshonoré est un des éléments clés de ce chef-d’œuvre dramatique ; le meurtre étant changé en simple crise cardiaque, le courroux vengeur, censé précipiter l'insatiable séducteur dans les flammes de l'enfer et rendre justice aux femmes outragées, semble bien vain. La scène finale se transforme donc en farce, qui dégénère rapidement jusqu'au suicide de Don Giovanni dans une folie furieuse. S'il en ressort un réel questionnement sur l'absence de morale et sur la folie autodestructrice de notre société actuelle, la scène se perd malheureusement dans une confusion totale entre projection vidéo et voix sonorisée du Commandeur en coulisse.
Certains éléments apportent toutefois de la pertinence et de la profondeur à cette grande fresque, notamment ce code couleur permettant de distinguer les personnages des deux autres opéras de la trilogie : le bleu pour Le nozze, le jaune de l'infidélité pour Così et le rouge violent et criard de Don Giovanni. On saluera également l'intervention très touchante de la Comtesse Almaviva lors de l'air de Donna Elvira, leur douleur se faisant écho face à l'ingratitude des hommes.