Robert Lepage a réussi, avec sa nouvelle mise en scène de La flûte enchantée, ce que d’autres ont échoué à réaliser : redonner à l’œuvre sa vocation de spectacle populaire, au sens le plus noble du terme. Présentée en première au Festival d’opéra de Québec du 31 juillet au 6 août pour quatre représentations, la nouvelle mouture du chef-d’œuvre mozartien réunit toutes les qualités pour triompher au Metropolitan Opera, où elle se transportera dans un avenir plus ou moins rapproché. Il y aura évidemment quelques améliorations à apporter. Les petites anicroches survenues lors de la deuxième représentation – les doublures de Tamino et Pamina qui entrent trop tôt, alors que les « vrais » protagonistes sont encore sur scène, un trône à roulettes se coinçant dans le tapis, etc. – restent des incidents tout à fait bénins. Le rythme devra toutefois être resserré à certains endroits. Lepage, qui comprend manifestement bien la psyché du chanteur d’opéra, installe souvent ces derniers en avant-scène dans des positions plutôt statiques. Si le procédé ne pose habituellement guère de problèmes, il est toutefois parfois synonyme de longueurs, notamment dans la scène du premier acte où Tamino charme les animaux par sa musique, qu’on aurait préférée plus inventive, ou dans certains airs ou duos. Les surtitres ont également une fâcheuse tendance à trop anticiper ce qui se passe sur scène, comme lorsque le chœur annonce à Tamino que Pamina vit encore (« Pamina lebet noch »), le public apprenant cette information cruciale avant le personnage.
On a malgré tout affaire à un spectacle de très haute tenue, qui est d’abord un véritable régal pour les yeux. Les costumes de Kym Barrett, au premier chef, méritent tous les éloges. Les créations très colorées de l’artiste australienne, qui a entre autres travaillé sur le plateau du film The Matrix, réactualisent des archétypes orientaux comme la geisha japonaise (Pamina), le prince perse (Tamino) ou le prêtre égyptien (choristes). Le dispositif scénique, constitué essentiellement d’un grand filet étoilé évoquant le jeu Lite-Brite, est quant à lui réduit au strict minimum. De temps à autre, des accessoires choisis avec soin (dans « Dies Bildnis », Pamina émerge par exemple d’un simple cadre grâce à la magie du black art) suffisent à enchanter l’espace. Les nombreuses trouvailles de Lepage font mouche à tous les coups. Et comme dans la plupart de ses mises en scènes, l’homme de théâtre reste au plus près du livret (le black art n’étant ici utilisé que pour servir l’œuvre et non comme une fin en soi) et se tient loin des réinterprétations à la sauce Regietheater. Malgré son relatif minimalisme, la production réserve quand même des moments de faste, telles la première apparition de la Reine de la Nuit, qui émerge majestueusement du ciel étoilé, ou la solennelle entrée de Sarastro au premier acte, porté sur un char doré par d’hilarants fauves aux yeux lumineux.