Impossible de s’ennuyer en cette rentrée 2025 pour les balletomanes : cinq programmes « Focus Jeunes Créateurs » sont proposés tout au long du mois de septembre par le Théâtre de la Ville. Pour donner le coup d'envoi de cette série de (re)découvertes qui s’annonce passionnante, l’ouverture de saison, qui a lieu aux Abbesses, met en regard trois chorégraphes aux univers bien distincts – Liam Francis, Noé Soulier et Maud Blandel. Leur point commun étant d'avoir été remarqués au concours Danse élargie (créé en 2010), dont l’objectif est de permettre à des artistes dont les idées « débordent des cadres établis » de se faire connaître du public et des institutions...
C’est à Liam Francis que revient l’honneur d’ouvrir la soirée avec A Body of Rumours. Le noir s’installe et du silence émerge un bruissement sonore délicat évoquant une forêt peuplée d’oiseaux. La conception de ce flux musical électronique évolutif, entre ambiance tamisée et piste rythmée, est exécutée en direct au plateau par Chloe Mason. La DJ vibre avec les ondes et fait vibrer en retour les corps qui apparaissent peu à peu dans la pénombre ; la propagation du mouvement se met en place de manière organique.
Le premier danseur qui s’empare de l’espace en glissant de part et d’autre nourrit la bande sonore avec les bruits de ses chaussures récupérés par un micro et amplifiés, distordus, ré-interprétés par la DJ. Et tout au long de cette chorégraphie en même temps très simple et très poétique, on va retrouver le principe de vibration ondulatoire qui se diffuse d’un corps à l’autre, de la danse à la musique et vice versa, dans les variations de lumières aussi. Comme mus par une impulsion secrète, les quatre danseurs se laissent emporter par des gestes amples qui animent leur corps – étirements qui deviennent tourbillons, intentions qui se propagent entre eux. Plusieurs influences stylistiques émergent sans jamais que l’une ou l'autre domine : le délié des membres associé à la force contenue visible dans la tension des musculatures évoque tout à la fois la technique Cunningham et la culture hip-hop. Une sensualité unique se dégage de ces enchaînements parfois quasi hypnotisants. Quelques séquences d’une grâce particulière resteront en mémoire – comme le duo captivant durant lequel se rencontrent et s’apprivoisent deux interprètes, mettant leurs corps en contact de façon croissante, du choc de deux avant-bras à une intense étreinte.
Après cet inédit extrêmement séduisant, la deuxième pièce constitue une reprise : Petites Perceptions de Noé Soulier a remporté la toute première édition de Danse élargie. On a droit à une véritable reconstitution de cet événement, puisque les trois danseurs sont les mêmes (y compris le chorégraphe lui-même) ! La performance physique est impressionnante. Une suite de mouvements définis étant confiée à chaque interprète, on assiste à la répétition de ces trois séquences, encore et encore, ce qui emmène les danseurs au bord de l’épuisement (malgré la présence de pauses)… Danseurs dont on entend distinctement les halètements s’accentuer au fur et à mesure, étant donné que la chorégraphie est présentée sans musique. À l’inverse du langage de Liam Francis, les mouvements exécutés sont très limités dans l’espace et surtout inachevés, interrompus avant d’avoir atteint leur déploiement complet. C’est cette accumulation de micro-saccades qui rend également l’œuvre aussi détonnante et presque humoristique, frôlant l’absurde.
Place enfin à La Rumeur de Maud Blandel. Le plateau se remplit d’un coup d’une vingtaine d’interprètes, étudiants de l'école du CNDC – Angers. Du nombre de personnes en présence découle la dynamique du spectacle, qui joue sur les tensions – attraction, curiosité ou altercation – entre les corps et les êtres. L’énergie qui pousse les danseurs à se déplacer les uns vers les autres, à plusieurs ou en solo, crée un flux incessant qui prend progressivement de l’ampleur et culmine en une ronde infernale, grisante et dangereuse. L’atmosphère sonore (Gautier Teuscher) participe à cette montée en puissance dont on sort éprouvée, preuve indéniable que la pièce a eu de l’effet. Chacune des trois propositions variées de cette soirée constitue bien une expérience esthétique singulière et enrichissante ; on ne peut que féliciter grandement Danse élargie pour l’émulation engendrée par cette plateforme, et on attend avec impatience la prochaine édition en juin !
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