S’il est un artiste atypique, rare, difficile à cerner tant il est polymorphe, il s’agit bien de Jean-Nicolas Diatkine, dont le concert annuel à la Salle Gaveau semble une heureuse apparition venue d’un autre temps. L’originalité se retrouve également dans la programmation pensée comme un hommage à la créativité, à la transgression et au génie fantasque de quatre compositeurs qui n’hésitaient pas à revêtir différents masques : Rameau, Debussy, Ravel et Schumann.
Rameau, Prélude de la Suite en La mineur (Premier Livre). Jean-Nicolas Diatkine entre rapidement dans son concert, avec des suites d’arpèges et gammes chromatiques fluides et dansantes annonçant la Sarabande des Nouvelles Suites en La. Une belle indépendance des voix ; ses contrastes entre arpèges, accords et triolets tiennent cependant plus de l’impressionnisme que de la période baroque, mais sont autant de promesses pour les œuvres à venir.
A la manière de son maître spirituel, Claudio Arrau, les accords ouvrant les Reflets dans l’eau de Debussy sont joués à un tempo lent, privilégiant les textures, les impressions et images. Les arpèges de la partie centrale irriguent d’une fluidité aquatique et soudaine un discours auguste et paisible. La réexposition des accords d’ouverture est ciselée, avec une précision laissant planer une senteur mystérieuse sur des accords finaux évanescents.
Dans la première partie de l’Hommage à Rameau, les suites d’accords sont jouées avec une nostalgie élégiaque marquées par des transitions où le rubato confère un tempérament solennel et mélancolique. Les accords d’ouverture modulés, sonnent comme une profonde et calme évocation, où des aigus tintant comme des cloches donnent l’espoir d’être illuminé par l’inspiration du maître, Rameau.
L’Isle Joyeuse se pare tout d’abord d’une couleur hispanique, par une gestion emphatique des syncopes que les arpèges si caractéristiques de Debussy viendront néanmoins tempérer. Jean-Nicolas Diatkine, reprend le même accord en variant intelligemment de profondeur de toucher, créant un effet d’attente pour les auditeurs, avant de changer à nouveau de rythme, et se lancer à corps perdu dans des arpèges joués comme un véritable tourbillon.
Suit Gaspard de la Nuit, triptyque angoissant, sinistre et inquiétant de Maurice Ravel, mettant en musique trois poèmes d’Aloysius Bertrand. Dans Ondine, les arpèges sont exécutés de manière leste, avec un legato sûr et un beau médium. Le pianiste français a le souci du détail, et on entend chaque note, qui se détache distinctement, comme autant de perles tissées les unes après les autres. La progression d’accords est pleine de quiétude et élabore un discours contemplatif, avant d’aboutir sur une urgence. Le Gibet progresse à un pas de sénateur, sur des basses profondes résonnant tel un bourdon de cathédrale. Scarbo est joué de manière très dansante, les syncopes sont accentuées à tel point que l’on a l’impression d’assister à une corrida ! Les progressions d’accords, bien que peut-être trop découpées et décortiquées, arrivent à bâtir un mouvement perpétuel ; et ce malgré un oubli de partition, qui sera habilement masqué par quelques mesures improvisées parfaitement dans le ton de l’œuvre. La puissance sonore de son jeu lui permet de mettre en place une valse vrombissante, rugissante et grave.