Il faut toute l'inventivité et la malice d'un directeur artistique, en l'occurrence le compositeur Bruno Mantovani, pour convaincre le public du Grimaldi Forum que le programme de ce soir est un hommage à Pierre Boulez, figure centrale du 41e Printemps des Arts de Monte-Carlo, centenaire oblige. Le prélude de Parsifal ? la première œuvre lyrique que Boulez a dirigée à Bayreuth. La Huitième Symphonie de Bruckner ? Bruno Mantovani reconnaît que Boulez, grand interprète des symphonies de Mahler, avait peu d'affinités avec Bruckner, et qu'il s'était finalement laissé convaincre d'aborder la Huitième Symphonie.
L'auteur de ces lignes peut l'attester par un souvenir personnel : en 1996, les Wiener Philharmoniker donnait cette Huitième Symphonie sous la direction de Bernard Haitink au Théâtre des Champs-Élysées. Rencontré dans le hall d'entrée, Pierre Boulez qu'on s'étonnait de voir ici avait répondu : « Je dois l'enregistrer bientôt avec eux ». Mantovani dit que c'est sa version idéale, histoire sans doute de mettre la pression sur ses invités de la soirée : l'Orchestre Philharmonique de Monte Carlo et Jukka-Pekka Saraste.
On aborde la soirée avec une triple interrogation. On n'a plus qu'un lointain souvenir et de l'Orchestre et de la salle du Grimaldi Forum. Comment la phalange monégasque en grand appareil va-t-elle sonner sur un plateau qui ne paraît pas immense ? Et comment le chef finlandais qu'on n'associe pas nécessairement à ce répertoire va-t-il se sortir de cette complexe épopée ?
Première surprise dans le prélude de Parsifal : le son est direct, bien défini, les pupitres bien étagés, mais les nuances vraiment piano semblent impossibles. On le regrettera plus d'une fois dans Bruckner. Saraste, peut-être à la manière de Boulez, ne s'embarrasse pas d'une lenteur cérémonielle, n'enveloppe pas ce prélude d'un halo de mystère. C'est franc et direct, mais l'orchestre révèle de belles qualités dans les cuivres, alors que les cordes mettront un peu plus de temps à fusionner. Belle entrée en matière.
« Sans souvenirs et sans préjugés », c'est ainsi que Jacques Lonchampt qualifiait la vision de Parsifal par Pierre Boulez en 1966. C'est de la même manière qu'on aborde ce soir la monumentale Huitième de Bruckner. À quoi bon se référer à de précédents concerts, aux disques qu'on révère, sinon pour mettre d'inutiles obstacles à une écoute qui doit se laisser guider librement dans le dédale des thèmes, de formules rythmiques, de bifurcations inattendues que constitue cette symphonie-monde ? Les quatre mouvements classiques – Allegro moderato, Scherzo, Adagio, Finale – cachent à l'intérieur de chacun une écriture complexe, tourmentée : ce n'est pas un hasard si c'est la symphonie qui a coûté le plus d'efforts à Bruckner et connu le plus de versions, de révisions et d'éditions.