Le chemin enneigé, bordé de bougies, monte à la vieille Église de Saanen de 1604. Sous son toit, le vieux bois de la balustrade, d’une chaude couleur miel, travaille, grince, gémit : l’atmosphère des concerts hivernaux à Gstaad est unique. Les Sommets musicaux accueillent des artistes exceptionnels dans un cadre qui l’est tout autant : les crêtes escarpées, les alpages couverts d’un blanc manteau et les paisibles chalets ornés, desquels s’échappent les effluves de raclette. Lors de la soirée d’ouverture, Martha Argerich et la Kremerata Baltica donnent un coup d’envoi puissant et magique à l’édition 2016 du festival, dont la direction artistique est désormais confiée au violoniste Renaud Capuçon.
La Kremerata Baltica, ensemble de jeunes musiciens triés sur le volet, dévoile ses subtiles sonorités dans la Symphonie pour orchestre à cordes n° 7 en ré mineur de Mendelssohn. Dès l’Allegro perce une articulation extrêmement soignée, produisant des pizzicati d’une douceur veloutée, des syncopes bien dégagées. La profondeur du son et la richesse harmonique sont impressionnantes, la justesse impeccable : elles servent le lyrisme de l’Andante amorevole, au nom si juste – le premier violon nous y tient suspendu à son archet évoluant en piano sostenuto. Les soli du Menuetto e trio séduisent, les trilles se font écho et l’ensemble danse, sans perdre le sens également dramatique de ce mouvement. Dans l’Allegro molto frappent particulièrement les belles sonorités des altos, mais l’esprit de la Kremerata est celui d’une équipe : une joie jeune et tonique, en finesse, est le moteur de l’homogénéité de tous les pupitres, en perpétuelle émulation.
La Kremerata Baltica montre son excellence également dans une esthétique très différente. Un unisson vigoureux résonne avec l’entame de la Symphonie n° 2 de Mieczyslaw Weinberg, mais les dissonances de l’écriture ne tarderont pas à poindre. Alors que les cordes graves martèlent leur obstinato, les premiers violons égrènent, plus lyriques, des notes venues d’Orient. Dans l’Allegretto stravinskien, les premiers violons ont l’audace du cavalier qui se balade seul à la cour de Kubilaï Khan : un peu bravache, mais séduisant… Leur couleur, en dépit de la clarté qu’ils dégagent, se fait un peu plus mate. L’unisson d’attaque de l’Adagio se réalise dans les graves, très pleins, une quinte le prolonge harmoniquement et permet à l’alto solo de s’y apposer en toute beauté, avant que n’arrive en relais le violoncelle, puis le premier violon dans sa cristalline élégance. L’Andantino, danse surréaliste et macabre, fait pousser d’étranges cris d’oiseaux aux violons.