Les concerts se suivent et heureusement, au moins parfois, ne se ressemblent pas. Ainsi, quelques jours après un programme de musique germanique décevant malgré la présence du grand Bernard Haitink, l’Orchestre National de France nous a offert un magnifique programme de musique française dirigé par un chef peu connu en France, Juanjo Mena. Ce dernier, né en 1965 au Pays basque espagnol, est depuis 2011 directeur musical du BBC Philharmonic, après avoir été en charge de l’Orchestre Symphonique de Bilbao pendant dix ans et fait une très belle carrière en Europe comme aux États-Unis. Il faut dire que de l’Espagne il était largement question dans ce programme comprenant, outre le rare concerto pour piano de Pierné, rien de moins que la première suite de Carmen de Bizet, Iberia de Debussy et la Rapsodie espagnole de Ravel.
En début de concert, Juanjo Mena nous offrait une suite de Carmen No.1 de toute beauté. Arrangée par Ernest Guiraud après la mort de Bizet, cette pièce, qui alterne mouvements vifs et lents, réunit les quatre préludes orchestraux de l’opéra. Une belle énergie joyeuse émanait de la lecture du chef, à la fois précise, élégante et racée. L’Orchestre National de France s’y montrait lui aussi précis mais également réactif, contrasté et capable de belles nuances très judicieusement sollicitées par Juanjo Mena. Les bois nous régalaient de leurs traits vifs et joyeux, les cordes virevoltaient tandis que les cuivres claironnaient à propos. Une musique décidément jubilatoire et ô combien parfaite quand elle est jouée avec tant d’esprit. Après un tel début, ce concert s’annonçait fort bien et la suite du programme fut également une totale réussite.
La seconde pièce consistait en un concerto pour piano rarement entendu, celui de Gabriel Pierné, interprété par Jean-Efflam Bavouzet. Cette musique n’a plus de secret ni pour le pianiste français, ayant grandi à Metz comme Pierné, ni pour Juanjo Mena ; ils l’ont enregistrée ensemble en 2011 pour Chandos. Composée en trois mouvements qui semblent de prime abord un peu disparates, l'œuvre est assez proche dans la forme et la durée comme dans l’esprit, de la Burlesque de Richard Strauss, pièce beaucoup plus souvent donnée et qui, comme par hasard, date elle aussi de 1886.
Ce concerto débute par un solo de piano qui évoque irrésistiblement Chopin avec une main gauche qui descend avec délectation jusqu’aux extrêmes graves de l’instrument, en l’occurrence ce soir un Steinway que Bavouzet fait sonner magnifiquement. La suite a également belle allure, avec une orchestration de riche facture et moins académique que par exemple les concertos pour piano de Saint Saëns. Un beau dialogue s’installe entre Jean-Efflam Bavouzet et l’orchestre qui, dans cette pièce aussi, est en osmose avec la direction précise de Juanjo Mena. Une fort intéressante découverte, bien accueillie par le public de Radio France. À tel point qu’en bis, Jean-Efflam Bavouzet offre une exécution parfaitement maîtrisée de la virtuose Étude de concert en mi bémol mineur op. 13 de Gabriel Pierné. Il est d’autant plus dommage que l’œuvre de Gabriel Pierné soit peu entendue au concert que ce dernier a joué à la tête des Concerts Colonne qu’il a dirigés pendant un quart de siècle, un rôle essentiel dans la diffusion de la musique de ses contemporains.