La salle est comble pour cette soirée avec le Tallinn Chamber Orchestra et l'Estonian Philharmonic Chamber Choir entièrement consacrée à la musique d'Arvo Pärt, dans le cadre du weekend « Spirit » de la Philharmonie de Paris. À cette occasion, le compositeur en personne, du haut de ses 83 printemps, a fait le déplacement. Quand sa présence est annoncée, qu'il se lève modestement parmi le public et que 2400 spectateurs l'applaudissent à tout rompre avant même le début du concert, on se dit que l'humilité du personnage et de sa musique contraste avec les fastes et l'enthousiasme du moment. Arvo Pärt, et ce concert nous le montrera brillamment, est un des compositeurs contemporains les plus appréciés.
Le concert débute avec Fratres dans sa version pour violon solo, percussions et cordes. Harry Traksmann, qui occupera dans le reste du concert la place de premier violon au sein de l'orchestre, a plus la stature d'un premier violon que celle de soliste. En effet, l'introduction au violon seul est précipitée, elle manque d'assise et de clarté, et la justesse n’est pas toujours maîtrisée. Dans le grand crescendo initial, le son peine à se projeter, à gagner en ampleur et en noblesse, et le violoniste restera dans la suite toujours un cran au-dessous de l’orchestre en terme de puissance. Du côté de l'orchestre, les longs accords lisses et plats nous donnent à respirer un air raréfié et irradient une lumière diaphane en nous plongeant dans un temps étiré, dilaté.
Le Cantus in Memory of Benjamin Britten, contemporain de Fratres et écrit un an après la mort du compositeur anglais, utilise le principe du canon en augmentation rythmique, où le même thème est repris deux fois plus lentement par chacun des cinq pupitres de cordes, établissant une superposition de cinq temporalités distinctes. La cloche, qui ouvre l’œuvre, la ponctue et la clôt, instaure le climat solennel du deuil, tandis que le mélange et l’entrelacement de ces temporalités, en brouillant les repères et en abolissant la notion d’enchaînement, vient suspendre le temps dans ce qui prend des airs d’éternité. Le chef Tõnu Kaljuste mène d’une main de maître le crescendo progressif qui aboutit sur l’accord glaçant, tenu jusqu’au bout, de la mineur.