Le grand cru du Quatuor Hermès au Festival de Caunes-Minervois

L’orage nous poursuit. Après nous avoir privé de la cour d’un château la semaine dernière à côté de Rocamadour, voilà qu’il nous empêche d’écouter le Quatuor Hermès dans le cloître de l’abbaye de Caunes-Minervois. Cette tournée des festivals se transforme en exploration des salles communales ! Faisons contre mauvaise fortune bon cœur : au pied de la Montagne Noire, le village audois brille par son accueil chaleureux, 130 nationalités s’y côtoient harmonieusement. Le président du Festival, Frédéric Guiraud, est fier que ce melting pot se retrouve dans le public, qui se presse toujours plus nombreux aux concerts. Année après année, on y poursuit notamment une audacieuse politique de commandes, qui trouve sa racine dans l’amitié qu’Arvo Pärt porte à Frédéric. Cette année, c’est une œuvre de Camille Pépin qui est créée : Interspaces.

Cette série de cinq miniatures pour alto et violoncelle a pour vocation à se glisser, au bon vouloir des musiciens, entre trois autres pièces majeures déjà composées, inspirées par des tableaux de Jackson Pollock. Léa Hennino et Yan Levionnois s’en saisissent avec fièvre. La partition est virtuose, jonglant en permanence entre arco et pizzicati. Frottements sombres, ostinato rythmique d’où émergent des traits, un chant qui glisse d’un instrument à l’autre, quelques dissonances lancées comme des éclairs, des changements de rythmes déstabilisants, la partition ne nous ménage pas, nous retourne les tripes. Quelle claque ! Et quelle interprétation, qui nous fait sentir à quel point Camille Pépin a pu écrire spécialement pour Léa et Yan… Guettons l’enregistrement qui doit suivre.

Sous la pluie qui tambourine sourdement, le récital se poursuit avec le Quintette K516 de Mozart ; Léa Hennino joue l’alto supplémentaire qui manquait au Quatuor Hermès. Dans sa manière de tenir la partie de premier alto avec autorité, elle nous fait sentir combien Mozart aimait ce cœur de l’harmonie, particulièrement dans l’« Allegro » initial qui la voit dialoguer tout en finesse avec le premier violon d’Omer Bouchez.

On retrouve le violoncelle de Yan Levionnois, qui confère à l’ensemble une assise généreuse. L’« Adagio ma non troppo » sonne comme un jeu de questions-réponses, où les cinq instruments se parlent avec précaution. Le son est merveilleusement doux, à la manière d’un pianiste qui ne jouerait que una corda. L’introduction « Lento » du dernier mouvement est lourde, pesante, on imagine comme elle a dû surprendre les contemporains de Mozart. Et l’« Allegro » conclusif est bien enlevé, les instrumentistes jouent des accents, décochent des flèches, sourires aux lèvres.

Après une courte pause que Max Dozolme, chroniqueur à France Musique, comble en contant sa passion pour le Quintette avec piano opus 34 de Brahms qui suit, le Quatuor est rejoint cette fois-ci par Jean-Baptiste Fonlupt. Le piano est placé en arrière, au fond d’une scène assez fermée. On entend donc une sorte de prime aux cordes, qui bouscule les plans sonores dans un ordonnancement singulier. Densité et profondeur du piano, force et présence des cordes : on est cependant emporté ! Le début du « Largo » est presque suspendu, mais on est vite pris par le souffle des phrases généreuses de Brahms. Après un scherzo irrésistible aux fugatos enlevés, les musiciens nous offrent un finale ébouriffant, dont on retiendra la souplesse et la liberté des phrases solistes d’un violoncelle au jeu profondément émouvant.

Les rappels sont superflus : attirés par les vins du minervois offerts par des vignerons, les artistes rejoignent vite le public pour un long moment d’échanges chaleureux qui conclut une soirée exceptionnelle.