Monumental. C’est le mot qui semble le plus approprié face à la proposition tissée par Barbara Hannigan et Romeo Castellucci autour du Stabat Mater de Pergolèse et d’œuvres de Giacinto Scelsi, commande du Grand Théâtre de Genève, hors les murs pour l’occasion. Dans la cathédrale Saint-Pierre, dans le temple même de la Réforme calviniste où en août 1535 les protestants, menés par Guillaume Farel et Jean Calvin, détruisirent les tableaux, tapisseries, décors polychromes, autels, statues, jubé et orgue qui ornaient cette même cathédrale, Castellucci propose de recomposer un livre d’images et de musique grâce à des tableaux vivants autour de la genèse d’un monde, de la relation d’une mère et son fils, d’un enfant d’une femme et d’un homme, le tout nourri d’un imaginaire pictural directement inspiré de peintres italiens de la Renaissance ou de l’actualité guerrière la plus crue.
Un très prude « la scénographie et les images présentées (…) n’impliquent en rien l’Eglise Protestante de Genève », est placé en bas du programme. Car oui, en personnalité majeure des arts vivants puisant ses références dans les arts plastiques et dans la culture catholique, Castellucci questionne ici frontalement la place de l’art dans notre société et réactive la querelle des formes et du sens entre iconoclastie et iconodulie.
Et il commence fort. Dans ce théâtre liturgique, le public est installé sur l’aile est de la nef, prise pour l’occasion dans toute sa longueur – qui était la position des bancs lors des prêches de Calvin –, enserrant la chaire pastorale. Sur l’aile ouest, la scène, où une longue estrade parcourt la nef, s’élève au-dessus et face à notre regard. Entre chien et loup, le public s’installe dans une quasi pénombre. Puis une longue procession commence face à nous, du fond vers l’avant de la cathédrale, où des soldats en tenue de combat, masqués, transportent un à un les instruments peints en noirs et kaki d’un orchestre de guerre clandestin qui (re)prendra sa place dans le chœur de l’édifice.
Quand, depuis ce chœur, l’Ensemble Contrechamps commence à jouer les Quattro pezzi per orchestra de Giacinto Scelsi, le ton est déjà donné entre attente et tension dans cette musique spectrale, composée lors d’un séjour en hôpital psychiatrique, où chaque pièce est construite autour d’une seule note. C’est une ouverture de l’espace dans la première pièce, un appel dans la deuxième, une attente et une recherche dans la troisième, et une vision infernale à travers un cluster assourdissant dans la quatrième. Face à nous, un ballet abstrait de trois tiges blanches montées sur des châssis motorisés et des soldats de dos figurent une séquence de transmission… au monde entier. C’est là le fil dramaturgique que l’on retrouvera à la fin avec les Three Latin Prayers du même compositeur, et qui encadre donc le Stabat Mater de Pergolèse, comme une dimension temporelle, contemporaine autour d’une forme spirituelle, immortelle.