Oratorio préféré de Haendel, Theodora a été composé au soir de sa vie, en un mois, et créé en mars 1750 à Londres à Covent Garden. L’œuvre s’inscrit dans la lignée de ses nombreux oratorios bibliques en langue anglaise, mais pour la première fois il s’empare d’un sujet post-biblique, celui du martyre des premiers chrétiens, et donne une large part à l’introspection de chacun des protagonistes. L’intrigue mêle en effet drame sacré et théâtre des passions : nous voici en 303 après J.-C. à Antioche où le préfet de l’Empire romain Valens impose le culte de Jupiter, sous peine de mort pour les hommes et de prostitution forcée pour les femmes. L’officier romain Didymus, secrètement converti au christianisme et amoureux de la jeune aristocrate chrétienne Theodora se sacrifiera pour elle tandis que celle-ci restera inflexiblement fidèle à sa foi. Le choix de ce thème en plein Siècle des Lumières permet à Haendel de questionner l’intolérance religieuse et la liberté de conscience : des enjeux intemporels qui rejoignent de façon brûlante l’actualité de notre époque.
Malgré quelques longueurs, la partition de Haendel est fabuleuse : trois heures d’une musique sublime alternant brefs récitatifs, airs somptueux, quelques merveilleux duos, et de nombreux chœurs. Moins spectaculaire que d’autres opéras ou oratorios du compositeur, l’œuvre est assez rarement donnée depuis la mythique production Sellars/Christie de Glyndebourne en 1996. Présentée par le remarquable ensemble Jupiter fondé en 2008 par Thomas Dunford, cette nouvelle production en version de concert est présentée ici dans l’écrin idéal du Théâtre du Capitole de Toulouse.
La prise de rôle de Lea Desandre dans le rôle-tire fait l’événement. La mezzo-soprano franco-italienne s’affirme à nouveau comme une formidable tragédienne, un an après sa Médée de Charpentier à l’Opéra de Paris. Son incarnation est poignante, exceptionnelle de musicalité : sa ligne de chant, son timbre et sa projection sont admirables. Dans une élégante et sobre robe plissée d’un blanc immaculé, sa présence scénique est touchante et d’une grande dignité, à l’image de son personnage.
Autour d’elle, la distribution vocale est composée de chanteurs anglo-saxons parmi les plus brillants de leur génération, trentenaires à la carrière internationale déjà bien établie. Ils nous délivrent une leçon de beau chant haendelien. Remplaçant Véronique Gens finalement indisponible, la grande mezzo-soprano américaine Avery Amereau est l’une des révélations de la soirée. Rare en France alors qu’elle poursuit une impressionnante carrière en Amérique et en Europe, elle fait des débuts dans le rôle important d’Irene, l’amie de Theodora, qui incarne l’espérance chrétienne. Son timbre est riche, velouté et somptueux sur toute la tessiture, et sa présence de tragédienne est émouvante.