Des cambrures lascives du faune debussyste aux parades ravéliennes, en passant par les « pas de deux » de Schmitt et Prokofiev, la danse siégeait hier soir en muse maîtresse à la Philharmonie de Paris. Et quel gala pour les auditeurs transportés d’un rêve à l’autre ! Comme surgie d’un songe immémorial, la flûte soliste ouvrait le bal avec le chatoyant Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy. Plus rare au concert, la Suite issue de La Tragédie de Salomé de Florent Schmitt reprenait les couleurs impressionnistes du début pour les parer de teintes plus sauvages, exacerbées dans la Suite n° 2 de Roméo et Juliette de Serge Prokofiev. Face à ce déferlement coloriste, les thèmes répétitifs du Boléro de Maurice Ravel auraient pu paraître ternes… mais sous la direction de Jonathan Darlington, l’Orchestre de Paris s’irise encore pour nous faire redécouvrir cet incontournable du répertoire.
Sobre et efficace, le chef anglais Jonathan Darlington allie finesse d’exécution et justesse d’expression. Son approche met en lumière chaque solo et souligne des motifs d’apparence anodine qui éclairent ces partitions d’un jour nouveau. Sous ses gestes émergent des atmosphères sublimant chaque intrigue, tandis que les personnages des poèmes semblent émaner des sons… Le faune de Debussy (inspiré par l’églogue de Mallarmé) s’éveille ainsi au son d’une flûte indolente, ensoleillée par les cordes en demi-teintes. La paresse de cet après-midi d’été s’égaye cependant, de spirituels solos de bois nous laissant imaginer un faune libidineux avant les élans du tutti orchestral. Même dans ce moment de grâce, le chef respecte le raffinement debussyste et ne s’abandonne pas à un apogée claironnant qui aurait comblé un besoin primaire de romantisme… À l'inverse, nous aurions pu craindre que ce peaufinage ne s’applique au reste du programme et que le chef ne tire pas profit des sonorités âpres de la suite. Mais il n’en est rien, et La Tragédie de Salomé n’hésite pas un instant à s’aventurer dans un registre menaçant voire féroce, culminant avec les cuivres démoniaques de la « Danse de l’effroi ». Souvent décrit comme un épigone de Debussy, Schmitt lui est ici redevable à plusieurs égards, et tout particulièrement dans les « Enchantements sur la mer ». Les trémolos scintillants des violons, surplombés de lointains appels de cors, font écho à La Mer de Debussy. Toutefois, Schmitt s’éloigne de ce modèle avec des portraits d’une Salomé insouciante (l’orchestre débridé de la « Danse des perles ») ou d’un charme dangereux (les solos orientalisants du cor anglais et du hautbois)… Une œuvre et un compositeur généralement méconnus, dont Jonathan Darlington et l’Orchestre de Paris nous rappellent les éminentes qualités.