Infatigable Alexandre Bloch ! Alors qu’il vient d'enchaîner à tour de bras l’immense Symphonie n° 3 de Gustav Mahler, le jeune chef d’orchestre rythme des saluts frénétiques, tirant la soliste par la main, invitant les chefs des chœurs à faire lever leurs troupes, saluant son Orchestre National de Lille pupitre par pupitre, sortant de scène d’un pas vif, revenant quelques secondes plus tard avec le même entrain. Un peu plus tard, il prendra longuement le temps de répondre aux questions du public en bord de scène : « Vous devez être plein d’endorphines ? » – « Oui, je ne suis pas près de me coucher ! »
Mahler, c’est du sport. Sorte de Dudamel à la française, Bloch soigne sa battue, veille à l’équilibre formel et dynamique de l’architecture symphonique mais ajoute un sens de l’effort physique hors du commun. Il conclura le gigantesque premier mouvement – plus d’une demi-heure de musique ininterrompue – en explosant littéralement sur le podium, menant une accélération frénétique à la façon d’un Gaulois dopé à la potion magique. Ainsi dirigé, l’Orchestre National de Lille délivre admirablement la large palette d’émotions de l’ouvrage, de l’excitation la plus intense aux murmures habités du finale. Quant aux chœurs, ils n’ont pas d’autre choix que de se surpasser : dans le cinquième mouvement, les timbres clairs du Chœur maîtrisien de Wasquehal répondent joliment aux sopranos aériennes du Philharmonia Chorus.
Mais la force de Bloch n’est pas tant physique que mentale. Le maestro n’hésite jamais une seule seconde, déployant une direction chirurgicale : les moindres gestes sont étudiés, les moindres intentions sont précisées, jusque dans les inflexions du premier solo de violon que bien des chefs n’osent pas conduire. Pendant tout le premier mouvement, la battue montre une froide détermination, dans les mesures les plus décharnées comme dans les fortissimo les plus tonitruants. La marche militaire n’en est que plus marquante, émergeant du fond de l’orchestre avec un rythme glaçant. Cette direction sans concession offre paradoxalement un vrai confort de jeu pour les musiciens, le geste infaillible détendant les archets, libérant les vents. L’Orchestre National de Lille révèle alors sa force collective : cuivres épais à la sonorité éclatante, bois idéalement homogènes, contrebasses solides malgré leur position délicate en fond de scène.