Revoilà La Traviata à Paris. Le célèbre opéra fait son retour à Bastille dans la mise en scène de Benoît Jacquot, régulièrement programmée depuis sa création en 2014. Assisté du décorateur Sylvain Chauvelot, le cinéaste a opté pour une méthode brute : l’environnement de chaque acte ou de chaque tableau se résume à un seul élément aux proportions gigantesques (un lit à baldaquin pour les actes I et III, un arbre et un escalier pour les deux tableaux du deuxième acte). Dans un premier temps, ce minimalisme encombrant laisse perplexe : certes, la présence d’un lit volumineux au beau milieu du salon de Violetta montre sans ambigüité possible son statut de courtisane. Était-il cependant indispensable d’ajouter à la tête du lit une reproduction de l’Olympia de Manet, et de renforcer ce clin d’œil appuyé en grimant Annina en servante noire, recyclant ainsi des pratiques théâtrales d’un autre âge et d’un goût douteux ? Adepte revendiqué d’une « retenue du geste », le metteur en scène a eu ici la main bien lourde.
Jacquot se montre bien plus inspiré à partir du deuxième acte. L’arbre magnifique qui étend ses branches au-dessus du couple charrie des références autrement plus subtiles, entre pêché originel et sacrifice amoureux (on pense à la mort du Cyrano de Rostand). L’idée de n’offrir qu’une moitié de scène à chaque tableau paraît également judicieuse dans la première partie de l’acte : la zone d’ombre qui se déploie largement sur le plateau suggère que l’idylle sera éphémère. La réduction de l’espace scénique paraît moins adaptée au virevoltant second tableau, resserré autour d’un escalier monumental. On y apprécie cependant l’intelligence d’une direction d’acteurs aux déplacements millimétrés. Le décor et la scénographie sont d’ailleurs toujours conçus pour conforter la projection des voix et magnifier le discours verdien. Le metteur en scène sait en outre alléger le trait à bon escient : dans ce même second tableau, le ballet travesti des bohémiennes et des toréadors apporte une fraîcheur bienvenue et balaie le kitsch d’une scène qui a mal vieilli. Le troisième acte est tout aussi juste, les derniers instants de l’héroïne sur son lit d’hôpital étant magnifiés par un jeu de lumières sobre et efficace.
L’indiscutable atout de cette production réside toutefois dans son casting vocal. Dans le rôle-titre, Aleksandra Kurzak brille de mille feux : timbre ardent, vocalises agiles, aigus faciles, la soprano campe une Violetta idéale, jusque dans les quintes de toux du finale, plus vraies que nature – et contagieuses, à en croire quelques spectateurs peu discrets. Kurzak se révèle remarquable tragédienne, tissant un ultime « Addio del passato » d’une insoutenable fragilité. Son impressionnante maîtrise du souffle s’exprime dès le deuxième acte : dans un filet de voix parfaitement projeté, son « Dite alla giovine » est un exemple de phrasé pur et d’émotion contenue.