Ce dimanche, les mahleriens les plus chevronnés devaient faire face à un choix cornélien : Huitième avec les Münchner Philharmoniker et Valery Gergiev à Paris ou Neuvième avec les Wiener Philharmoniker menés par Ádám Fischer à Lyon ? L'événement que constituait la venue d'un orchestre d'une telle renommée à l'Auditorium de Lyon méritait le voyage. Et pour cause : la phalange autrichienne, devant une salle pleine à craquer, a fait montre d'une rutilance à toute épreuve. Quelle intensité ! Quelle précision ! Quelle poésie !
Ádám Fischer a construit sa Symphonie n° 9 comme une savante mécanique. Il manquera peut-être à certains le souffle narratif faisant l'unité du monumental « Andante Comodo » initial. Celui de Fischer est fait de cassures, de collages entre des thèmes ; il y a quelque chose dans cette interprétation qui évoque la Seconde École de Vienne, que cette Neuvième de Mahler inspira d'ailleurs tant. Dès les premières minutes, le chant des cordes ruisselle, clair comme de l'eau de roche. Les piano subito, que Fischer ne suspend qu'au strict minimum, sont fort réussis, mais c'est dans les forte que l'orchestre brille le plus : ils sont féroces, glorieux et toujours d'une densité que seule permet une intense concentration du timbre. Mais surtout, il y a cet équilibre si subtilement trouvé dans une masse orchestrale si imposante : prouesse de Fischer ? Professionnalisme des musiciens ? Probablement une bonne dose des deux. Les percussions ne roulent pas sur le reste de l'orchestre, n'apportant à la couleur qu'une subtile mais bien présente majesté. Et les cuivres homogénéisent le son, conférant à son enveloppe une rondeur sans égale.
Le deuxième mouvement, d'inspiration plus gaillarde, est mené par Ádám Fischer avec beaucoup d'humour mais sans complaisance. Les musiciens sont à 200%, rivalisant de talent dans la mise en œuvre des différents modes de jeux : spiccato tranchant et précis au laser des altos, fortissimo ahurissant de férocité débridée au fier pupitre des seconds violons, can-can et sonneries des clarinettes et trompettes confondantes d'exubérance. Les plus aristocrates des Viennois deviennent alors une fanfare d'élite : fini l'équilibre du premier mouvement, c'est un raz-de-marée massif et sans retenue que seules les bornes de la partition peuvent tempérer, avec toujours cette volonté de rendre les changements de tempos aussi abrupts et vertigineux que possible. C'est absurdement, brutalement beau.