Un frêle esquif ballotté par les vagues (Ravel), un individu seul face à un monde disparu (Elgar), un héros en butte aux critiques de la foule (Strauss) : pour un programme aussi imagé, rêveur et héroïque, il est décevant de voir la Philharmonie aussi peu remplie. Aux chanceux présents, Truls Mørk offre une démonstration de sa maestria technique, face à un David Zinman inspiré.
Une barque sur l’océan semble bien candide face au terrible Concerto pour violoncelle d’Elgar. C’est pourtant ce court extrait des Miroirs que l’Orchestre de Paris a choisi pour ouvrir la soirée : entre un son très homogène chez les cordes (grondement des trémolos de contrebasses) et des solos d’une douceur rare chez les vents (hautbois, trompette), c’est la chaude sonorité de l’ensemble de l’orchestre que David Zinman semble vouloir mettre en valeur. Si sa gestuelle très ample, qui ne vise jamais aucun instrument en particulier, ne favorise pas la synchronisation à l’intérieur des pupitres, comme lors du retour du thème initial aux violons, elle permet en revanche d’instiller une douceur globale et de gérer judicieusement les progressions dynamiques.
Cette direction très musicale manque toutefois de précision face au violoncelle de Truls Mørk. Dès sa première intervention, le son de ce dernier force l’admiration : ample, vibré, il est dépourvu de la moindre dureté. Un tempo assez lent lui permet de faire sonner sans précipitation les graves profonds de son instrument. Mais très vite, les tutti posent problème : l’orchestre, toujours légèrement trop lent, ne parvient pas à suivre le soliste ; la moindre tentative de rubato fragilise la synchronisation de l’ensemble. Surtout, les temps curieusement marqués par le violoncelliste, au détriment du mouvement inexorable de la pulsation ternaire, rendent le « Moderato » traînant. Le caractère sautillant de l’« Allegro molto » le met davantage en valeur, sa technique surpuissante lui permettant de distinguer chacune des notes répétées, tout en soignant l’émission d’harmoniques ronds et résonnants. Mais c’est dans l’« Adagio » que sa musicalité s’exprime le mieux : avec une facilité déconcertante dans l’aigu, il se permet des contrastes délicats, avec des changements de nuances rapides et un vibrato au service du phrasé. Cela ne suffira pas à nourrir le climat belliqueux du finale, qui manque ici de vraies attaques et de rage. Côté orchestre, si les tutti sont marqués par des intentions intéressantes (dialogue attentif entre cordes, bois espiègles), des problèmes de synchronisation demeurent, qui auront entravé l’ensemble de l’interprétation. On retiendra donc surtout de ce concerto l’incroyable maîtrise de Truls Mørk, même si sa vision très apaisée de l’œuvre aura pu manquer pour certains de chair et de passion – ce n’est pas un hasard s’il choisit en guise de bis la douceur méditative d’une sarabande de Bach !