La grande salle de la Philharmonie de Paris n'est pas pleine à ras bord pour ce concert de l'Orchestre de Paris dont l'affiche est pourtant de celles qui devraient attirer le public des mélomanes curieux, puisqu'on y donne la création française de la Symphonie n° 2 « Cénotaphe » de Thomas Larcher, que le pianiste Leif Ove Andsnes y est annoncé dans le Concerto KV 482 de Mozart et que Klaus Mäkelä est au pupitre. La Philharmonie a vendu des places à un prix très bas qui, on s'en apercevra bientôt, a amené un public « primo-accédant » à la musique classique dont la qualité d'écoute et les réactions seront particulièrement justes.
Klaus Mäkelä entre en scène. Sa haute stature, sa minceur et son allure lui donnent quelque chose du jeune héros d'une vieille comédie sentimentale en noir et blanc des années 1930, ce qui le rend sympathique et chaleureux. Le chef et les musicien de l'OP vont donner une Musique funèbre maçonnique de Mozart radieuse. Oui, radieuse : leur vision de la mort est loin du dolorisme comme d'une expression tragique surajoutée à la musique. Geste large embrassant les musiciens, Mäkelä fait passer dans l'orchestre une résignation émouvante. Du parterre, on entend mal les vents dont l'importance ici est capitale mais très bien les cordes, dont le jeu nous « gêne » esthétiquement. Ce qui se confirme dans le Concerto en mi bémol majeur KV 482 de Mozart. Vibrer parcimonieusement dans Mozart, oui bien sûr. Donner ce concerto – et l'on dirait la même chose du KV 503 – avec un orchestre fourni et un grand queue de concert, oui encore... surtout dans une si grande salle. Mais se contredisent ici le poids sonore du nombre des cordes et leur articulation précise, ce qui donne l'impression d'avoir esthétiquement le cul entre deux chaises. Pour ne rien dire des vents phagocytés par cette « armée ».
Cependant, tout est juste dans l'influx et dans l'attention que le chef porte aux nuances comme aux phrasés, dans le rebond rythmique fabuleusement alerte et vivant qu'il donne à l'ensemble. Malheureusement, sa façon d'animer en laissant la musique aller de l'avant dans un tempo parfait ne « contamine » pas le soliste. Ce KV 482 est certes le plus virtuose de la série, mais il est aussi l'un de ceux dont la partie de piano est la plus vocale, la plus surprenante aussi dans ses dialogues avec les vents, son alternance de joie et de tristesse infinie. Leif Ove Andsnes court la poste de façon précipitée, sans respirer, sans pulsation rythmique, sans chanter. Il n'écoute pas cet orchestre radieux, inspiré, avec un pupitre de cors qui chante aussi bien que la clarinette, les bassons et aussi bien que la timbale ponctue allègrement. Dans le deuxième mouvement, le pianiste chante sèchement, sans aucun timbre, extérieur à tous les sentiments contradictoires qui signent l'une des plus émouvantes compositions de Mozart. Le finale est bien trop rapide. Le piano file sans qu'on ait le temps de saisir ce qui se passe, alors que la musique l'invite à de savoureux et allègres échanges. On écoute l'orchestre et l'on est ravi.