Un coucher de soleil discret colore de teintes fauves les façades ocres du Cours Mirabeau. Avec une température plus savanienne, le trajet vers le Grand Théâtre de Provence se serait transformé en véritable safari, avec les félins de la fontaine de la Rotonde puis la salle de concert, aux allures de baobab géant. La soirée inaugurale du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence 2025 affiche son ambition. On y retrouve deux artistes qui se taillent la part du lion dans le paysage médiatique de la musique classique : la légende du piano Martha Argerich, dont chaque apparition attire les foules, et le récent chef d’orchestre Renaud Capuçon, plus connu en tant que violoniste, mais officiant également ici comme directeur artistique du festival.
Prolongeant le dépaysement de notre arrivée sur place, la Danse mystique de Charlotte Sohy ouvre le programme. Cette page orientalisante met immédiatement en valeur les qualités esthétiques de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Non content d’impressionner par la qualité et la beauté d’un son d’orchestre homogène, il fait montre d’une discipline collective de premier ordre en proposant un vaste éventail de nuances orchestrales, depuis l’introduction mystérieuse dans le registre grave jusqu’aux grandes effusions lyriques de la partition. Cet hédonisme sonore laisse cependant sur sa faim au bout de quelques minutes : un certain manque de conduite des atmosphères tend engendrer à un certain ennui musical. Plus languide et plus incarnée, cette ouverture aurait fait voyager l’auditeur de manière plus marquante.
Cette légère réserve est probablement due en partie à la direction de Capuçon, dont les grands gestes incitent volontiers à l’épanchement mais ne semblent pas dessiner de phrasé de long terme. Cette battue change cependant du tout au tout pour le Concerto pour piano n° 1 de Beethoven et son style classique : le chef définit clairement les temps – parfois presque trop – pour un rendu pleinement convaincant. L’orchestre propose ainsi un cadre stable qui, associé à une certaine vitalité énergique contenue, se révèle un écrin de choix pour Martha Argerich.
Si Capuçon accompagne la pianiste argentine avec une écoute attentive, il faut dire que l’approche sans fioriture de la soliste porte une certaine évidence. Argerich se permet quelques retards pour marquer le point haut d’une phrase ou d’un motif, ou encore quelques assouplissements de tempo, mais ces derniers sont toujours très justement mesurés, permettant d’apprécier la structure de l’œuvre sans la transformer en caricature rectiligne. Cette proposition artistique se double d’une technique intacte à 83 ans. On ne peut qu’admirer la vivacité des doigts alertes et déliés d'Argerich, la puissance de sa poigne et l’indépendance de ses mains.
Tout cela combiné permet d’ouvrir le spectre de l’interprétation, de faire entendre des accents alla Prokofiev dans le premier mouvement, une douceur presque chopinienne dans le deuxième et des passages centraux du finale évoquant Schumann par un subtil et poétique jeu polyphonique. Le tout au sein d’un kaléidoscope de couleurs qui ne sacrifie ni la clarté des notes ni la densité du timbre. Si quelques basses puissantes sonnent le glas, elles peuvent se métamorphoser en velours capiteux en un tour de main. On entend parfois très distinctement dans certains trilles ou passages virtuoses le bruit des marteaux sans que le son agresse l’oreille : voilà qui résume tout l’art de la pianiste, toujours dotée d’une énergie indomptable et d’un toucher unique au service de la musique.