John Eliot Gardiner donne le départ et l'on n'en croit pas ses oreilles. Que l'Orchestre Philharmonique de Radio France sonne petit, mat, avec des timbales entachées d'une résonance couvrant les cordes. Quelle déception de la part d'un chef que l'on a si souvent admiré pour sa direction acérée, précise, vive, son attention aux équilibres cordes/vents, pour sa façon aussi de diriger sans ce gras bedonnant qui dénature tant le répertoire auquel il s'est attaché. Et le voici qui dirige ainsi cette introduction du premier des deux concertos pour piano de Brahms ?
Elle est pourtant un jalon de l'histoire de la musique : jamais jusque-là un compositeur n'était allé aussi loin dans la création d'un espace acoustique aussi vaste, avec un orchestre somme toute encore réduit. On s'attend à contempler le monde depuis le Corcovado et on entend une petite chose pas très bien tournée, prise dans un tempo et une accentuation pas vraiment dominés avec aisance. Et le tempo ralentit autant que la pâte sonore s'alourdit, dans la seconde idée plus lyrique, avant de repartir d'un pas enfin décidé.
Il faudrait parfois oser en concert s'arrêter pour recommencer, moins pour des raisons instrumentales – ici bien réalisées, même si les violons manquent un brin d'homogénéité faute d'attaquer de façon franche – que pour des raisons d'éloquence dramatique, car c'est elle qui va déterminer tout ce qui va suivre. Et pourquoi avoir adopté une disposition presque à la viennoise en mettant violons 1 et 2 face à face, en inversant la disposition habituelle en mettant donc les violoncelles à la place des altos mais en plaçant les contrebasses à gauche derrière les violons ? En ce cas, il faudrait qu'elles soient en rang face au chef, au fond de l'orchestre, mais le plateau trop peu profond de l'Auditorium de Radio France ne le permet pas. Il est bien possible que les musiciens soient un peu déstabilisés, malgré les répétitions, par cette « ambiance » sonore qui fait qu'ils s'entendent moins bien...
Alexandre Kantorow entre : son jeu est clair, alerte, précis, paradoxalement plus symphonique dans son esprit, mais si le pianiste est à l'aise, le musicien a tendance à trop séquencer son jeu en une sorte de successions de réponses à l'orchestre un peu académiques. Il devrait être « dedans » plus qu'« avec ». Kantorow joue néanmoins en grand pianiste et d'une façon passionnante. Son orthodoxie solfégique est admirable : il ne fait jamais un ralenti pour faire profond ; son jeu est sans relâchement sur le plan rythmique. Et son invention est libératrice : il ajoute quelques octava bassa qui font sonner le piano d'une façon extraordinaire, tout en relançant les phrases. Kantorow marie ainsi Brahms et Liszt, rigueur et invention.