Ambitieux programme, peut-être un peu trop, pouvait-on redouter en début de concert, tant la sécheresse de l’acoustique du Théâtre des Champs-Élysées ne laissa, chez Wagner puis Strauss, aucune place à l’erreur. L’ouverture des Maîtres Chanteurs sembla ainsi, malgré une évidente cohésion de l’orchestre et une énergie sincère, trop austère et incertaine dans son phrasé pour convaincre le public. Légère déception, donc, d’autant plus fâcheuse que les accents crépusculaires d’un tel choix d’œuvres laissaient espérer une plus large palette d’expressions pour cet opéra dit de la maturité de Wagner, joignant l’emphase volontiers pompière à un lyrisme manifeste. Plus nuancé, riche qu’un Tristan puissant mais plus homogène, empreint de la jovialité germanique chère à Nietzsche, Les Maîtres chanteurs offraient en effet à Kirill Petrenko des possibilités expressives que le Bayerisches n’exploita malheureusement pas. Sans doute trop occupé à ne rien laisser déborder ou déraper – les bois, réduits à leur plus simple appareil, semblaient continuellement sur le fil – Kirill Petrenko ne prit donc pas le temps de laisser émerger un véritable souffle des nombreux et subtils contrastes, ce qui ne s’arrangea évidemment pas une fois les sublimes Vier letzte Lieder entamés.
On ne saurait dire si le timbre alors âcre, presque métallique de Diana Damrau, fut pour beaucoup dans le difficile syncrétisme de l’orchestre et de l’illustre soprano, mais l’on resta sur sa faim pour Frühling puis September, légèrement plombé par la redoutable intervention du premier violon, poussant comme souvent trop sur la dissonance comme pour compenser un manque généralisé de texture. Audible tout du long, y compris dans le medium, ce qui constitue déjà une victoire face à une telle formation, Diana Damrau ne fit ici pourtant pas preuve des grandes qualités d’articulation qu’on lui connaît, et le texte s’avéra alors difficilement audible. Mais cette légère déception fut très rapidement effacée par le retournement, surprenant, qu’ont opéré les mouvements suivants (Beim Schlafengehen et Im Abendrot), teintés de la mélancolie, du sentiment, bref, de toute la profondeur que l’on sentait jusqu’alors absente de la prestation de l'orchestre. La voix, plus discrète mais non moins présente, d’une Damrau bien plus à l’aise dans ces tiraillements que dans un éclat un peu forcé, le tressaillement plus inspiré du violon, les trilles du piccolo, accompagnèrent en toute intelligence l’élégant chant du cygne de Strauss, « résignation dorée et succulente », écrira André Tubeuf, à qui - les applaudissements du public ne s’y trompèrent pas - Kirill Petrenko parvint finalement à rendre justice, enfin débarrassé du fardeau de la monumentalité et de la démonstration wagnériennes.