Ovation à la Philharmonie de Paris. François-Xavier Roth vient de réaliser de son propre aveu un « rêve d’enfant » : rejouer, en guise de rappel, le célèbre début d’Also sprach Zarathustra de Richard Strauss. Sous sa baguette, les musiciens du London Symphony Orchestra n’ont pas fait les choses à moitié, frôlant même la caricature : cuivres éclatants, archets cinglants, timbales à en fracasser les peaux. Il faut dire qu’un peu plus tôt, le maestro a trouvé les mots pour galvaniser les troupes britanniques, insistant publiquement sur l’importance de l’Europe : « Il n’y a pas de Brexit en musique ! » Applaudissements à tout rompre, y compris sur scène.
Le programme de la soirée se prêtait à ce rejet des frontières, puisqu’il rassemblait des œuvres composées à quelques mois d’intervalle aux trois coins de l’Europe : le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy et le Concerto pour violoncelle de Dvořák précédaient le poème symphonique de Strauss. Au-delà du symbole, la question musicale s’annonçait passionnante : qu’allaient donner à entendre les interprètes franco-anglais ? Une diversité de styles nettement caractérisés ou un métissage sonore ?
Pas de surprise dans Debussy. Maître de l’impressionnisme orchestral, Roth est dans son jardin : avec la gestuelle enlevée qu’on lui connaît, il jongle entre les motifs, accompagnant discrètement la flûte dans son solo – réalisé avec un timbre de velours idéal –, surveillant l’agencement de deux mélodies entrelacées. La transparence de la formation londonienne fait le reste. L’orchestre reste sur la réserve, sans contraste fracassant ni accélération fulgurante. Le climax de l’œuvre est atteint sobrement, sans forcer, le maestro maniant une pulsation vigilante. Le jeu de l’impressionnisme se déploie aux dépens du souffle romantique, pourtant non négligeable dans le Prélude debussyste. Cette frustration est largement compensée par une sensation rare, que Roth sait procurer mieux que personne : les moindres détails de la partition sont habilement soulignés, jusqu’aux coups de cymbales antiques qui scintillent délicatement dans les dernières mesures.
Le Concerto pour violoncelle s’ensuit avec un changement notable : Roth change d’échelle, passe du motif à la phrase, déployant le lyrisme qui manquait au Prélude. Debussy était un vitrail, Dvořák est une fresque. Le violoncelle de Jean-Guihen Queyras fait son entrée : son archet ne manque pas de panache, son vibrato est un exemple d’expressivité, son timbre est d’une homogénéité admirable alors qu’il se joue des obstacles virtuoses sans donner la moindre impression de difficulté. Sa complicité avec Roth est évidente ; le violoncelle s’intègre intelligemment au flux orchestral, sans chercher à le dompter. Queyras joue simplement avec les éléments, échangeant chant et contrechant avec la petite harmonie dans un deuxième mouvement somptueux.