Pour l’Orchestre Philharmonique de Radio France, le dernier concert de la saison est l’occasion d’une création française : celle du Triple Concerto de Sofia Gubaïdulina, compositrice russe emblématique dans le monde de la musique contemporaine, interprétée par trois instrumentistes toutes aussi talentueuses.
Le concert s’ouvre d’abord sur les Deux Pièces pour octuor à cordes de Chostakovitch. Peu de compositeurs maitrisent leur propre style d’écriture à juste dix-huit ans ; Chostakovitch est reconnaissable immédiatement : dramatique, émouvant aux larmes dans la première mélodie du violon I. Les interprètes, tous musiciens de l’orchestre de Radio France, démontrent un grand talent et une capacité d’homogénéité certaine. Si certains se démarquent – Cyril Baleton en violon I, Aurélia Souvignet-Kowalski en alto I et la formidable Nadine Pierre en violoncelle I –, il manque peut-être à l’interprétation un rien d’investissement et de lyrisme.
« N’ayez pas peur d’être vous-même. Ce que je vous souhaite, c’est de poursuivre votre propre mauvais chemin, » dit Chostakovitch à Gubaïdulina en 1959. Malgré la pression excercée par l’Union des compositeurs, Gubaïdulina a suivi ce conseil. Son Triple Concerto est un long paysage escarpé, rempli de chemins qui ne mènent pas à Rome. Des influences récentes décorent par touche cet univers musical : dans les séries qui se répètent à travers l’œuvre, dans les découpes du spectre sonore à des fréquences suraigües et brillantes. Pourtant, l’écriture de Gubaïdulina est versatile et extrêmement maitrisée ; elle n’est la représentante d’aucune école. L’œuvre s’étend comme une seule et longue phrase, donnant le vertige, la sensation de ne jamais être au repos. Dramatique, agressive par endroit, elle est portée par trois musiciennes qui s’investissent complètement et sans hésitation. Elsbeth Moser, qui collabore avec Gubaïdulina depuis une trentaine d’années, joue brillamment du bayan – accordéon chromatique. Quant à la violoniste Baiba Skride et la violoncelliste Harriet Krijgh, elles mettent toute leur force dans la pièce, lui donnant une direction par un sens du phrasé très juste et réfléchi.