Le goût français est à l’honneur ce soir à la Philharmonie. Mikko Franck et l’Orchestre philharmonique de Radio France le célèbrent à travers trois compositeurs emblématiques : Ravel, Poulenc et Debussy. Le programme de ce concert est conçu selon une progression en effectifs grandissants qui boucle sur Ravel, à partir de La Valse pour deux pianos jusqu’au grand orchestre majestueux de Daphnis et Chloé. Les solistes de ce soir sont les sœurs géorgiennes Khatia et Gvantsa Buniatishvili dans le Concerto pour deux pianos de Francis Poulenc ainsi que Claude Delangle dans la Rhapsodie pour saxophone et orchestre de Claude Debussy.
C’est avec la version pour deux pianos de La Valse de Ravel que s’ouvre le concert. Le compositeur la considérait comme : « une espèce d’apothéose de la valse viennoise, à laquelle se mêle, dans mon esprit, l’impression d’un tournoiement fantastique et fatal ». Les sœurs Buniatishvili donnent assurément à entendre ces tournoiements, par nuées, qui ressemblent néanmoins plus à des tourbillons de couches superficielles qu’à des remous abyssaux. Meneuse à tous égards, Khatia en particulier confère à son jeu un côté trop en surface. Les mélodies sont soignées, ont le dynamisme de ricochets alertes qui donnent un élan opportun tout d’abord… pour ensuite devenir suspects, tant ils restent longtemps en surface à continuer leurs courses contre les lois naturelles. Car il y a un moment où la partition dégénère, s’altère, et il faudrait que les pianos en suivent les gouffres, les abîmes. Le piano ne rentre pas suffisamment dans la fatalité du propos et les effets deviennent alors quelque peu artificiels, même dans la véhémence presque brutale dont ils se parent dans la dernière partie.
Place au délicieux Concerto pour deux pianos de Poulenc, ce patchwork génial qui emprunte tant à Mozart qu’à Bach, Ravel, Rachmaninov, Saint-Saëns, Stravinsky, aux ondes Martenot ou au gamelan balinais. Et quelle interprétation ce soir, quelle claque l’on reçoit ! Rarement l’on aura entendu au début de ce concerto des accords si secs et despotiques ; sous l’intimidation qu’ils forcent, le ton est donné. Le côté éminemment démonstratif et presque ostentatoire de Khatia va comme un gant à l’« Allegro ma non troppo » initial. Portées par l’orchestre agaillardi, les sœurs Buniatishvili font jubiler Mozart tout autant que les mélodies populaires et gouailleuses que Poulenc affectionnait tant. Puis tout à coup, en état de grâce, survient cette mélodie éthérée et irréelle dans les harmoniques du violoncelle, en suspension au-dessus des doubles croches étales des pianos : magnifique ! Si les pianistes se brûlent quelque peu les ailes dans le finale par une promptitude trop intrépide, au moins cette interprétation jouit de l’ivresse qui lui donne tant de caractère, et c’est exactement ce qu’il faut dans cette musique. Mille bravos !