20h30. Le public de la Philharmonie ovationne l’entrée en scène des musiciens. Des sifflets enthousiastes sont même lancés du deuxième balcon. Quel orchestre bénéficie d’un tel accueil ? Le Mariinsky de Gergiev ? Rattle et son London Symphony Orchestra ? Non : seul l’Orchestre Français des Jeunes, de passage dans la capitale pour conclure sa tournée hivernale, peut se vanter d’électriser le temple de la Porte de Pantin avant même d’avoir joué la moindre note.
Chauffés par un public tout acquis à leur cause, les musiciens croquent à pleines dents dans l’ouverture des Maîtres chanteurs. Aucun musicien ne montre le moindre signe de désengagement : les corps et les archets s’agitent en cadence avec un enthousiasme débordant… quitte à tomber dans la caricature. Wagner paraît ainsi franchement débridé, avec des cordes exaltées qui se soucient bien plus du lyrisme que de la tenue rythmique. Cet excès a cependant bien des vertus : loin du jeu néo-baroque, austère et grandiloquent qui a longtemps été privilégié dans cette ouverture, Les Maîtres paraissent ainsi plus que jamais chanteurs, romantiques et échevelés. Au-dessus de la mêlée, le maestro Fabien Gabel agite une baguette généreuse mais attentive, sachant modérer les ardeurs de ses troupes quand il le faut ; au moment stratégique de l’ouverture, la délicate superposition des thèmes s’opère dans la plus grande clarté.
Cet investissement de tous les instants, cette identité sonore si singulière sont intimement liés à la nature de l’orchestre, sorte d’équipe de France espoirs de la musique classique. Rappelons que les membres de l’OFJ ont fait l’objet d’une sélection méticuleuse sur l’ensemble du territoire national. En résulte un mélange heureux de talents individuels et de fraîcheur collective : galvanisés par leur inexpérience, les musiciens savourent l’instant du concert mieux que n’importe quelle autre formation. Et transmettent un plaisir de la musique contagieux.
L’enthousiasme retombe instantanément avec les lieder de Clemens Krauss. On pourra s’interroger sur l’étrange idée de réhabiliter ici un sympathisant de la première heure du régime nazi, alors même que d’autres causes plus honorables peinent à se faire une place dans les programmations musicales. L’OFJ se tire tant bien que mal de ce post-romantisme pompeux et maladroitement orchestré, soutenant soigneusement la voix de Petra Lang. Dans ces lieder comme dans ceux de Strauss qui suivent, la soprano wagnérienne se mêle cependant difficilement à la pâte sonore de l’orchestre. La voix large, le vibrato ample et le phrasé soutenu sont autant d’atouts de Lang qui se fait entendre sans forcer. En revanche, la chanteuse manque d’agilité dans les grands intervalles qui gagnent les aigus. Côté OFJ, l’esthétique est radicalement différente : l’intonation est irréprochable, le dessin mélodique d’une grande finesse. Mais le timbre général manque de ce grain nécessaire pour souligner la voix, notamment dans les cordes dont les piano manquent de consistance. Orchestre et soprano parviennent cependant à se retrouver dans la page la plus intime, Morgen !, où la chanteuse s’intègre délicatement à l’écrin symphonique.