Deuxième prix des concours Chopin et Tchaïkovski, Lukas Geniušas est l’un des grands espoirs de la nouvelle génération de pianistes. Issu d’une famille d’illustres musiciens et élève privilégié de sa grand-mère – l’immense pédagogue Vera Gornostaïeva qui forma Ivo Pogorelich, Sergei Babayan ou encore Vadym Kholodenko –, le pianiste russo-lituanien est déjà un artiste à l’univers facétieux, profond et empreint de la plus grande sincérité !
Ce soir dans la salle Gaveau, il choisit d’ouvrir son récital sur une sélection de mazurkas de Chopin auxquelles il confère une nostalgie mélancolique et surannée. Par un usage très modéré de la pédale, un délié prononcé garantissant la vivacité de la ligne, il dessine une sorte de ballade dans les rues pavées parisiennes du temps de George Sand. Les fins de phrase et transitions sont soignées avec souplesse, comme autant de haltes au périple insouciant de jeunes promeneurs, tandis que le rubato sostenuto sur les accords conclusifs invite au questionnement ; une interprétation authentiquement française !
Geniušas enchaîne avec la Sonate pour piano n° 3. Le natif de Moscou y fait usage de ses immenses moyens pianistiques, livrant une interprétation organique d’une rare originalité. L’« Allegro maestoso » s’ouvre sur un arpège emporté que des accords profonds, sonores et solennels viennent tempérer. Geniušas étire ensuite les phrases de manière romantique et langoureuse, avec un usage marqué du rubato. Les ponts sont un prétexte à créer différents effets, particulièrement réussis : délié sur les trilles et souci de faire ressortir les voix telle une fugue avant la réexposition, tragique et passionnée. Dans le « Scherzo » qui suit, le toucher fin des croches, avec une pédale minimale, permet de lancer une course frénétique. On retrouvera cet esprit vif dans un finale aux allures de feu d’artifices. Entretemps, le « Largo » prolonge la quête de couleurs et nuances : après avoir ouvert le mouvement sur des accords dramatiques, Geniušas lance un développement contemplatif et intime ; grâce à des pianissimo d’une rare pureté, le pianiste déploie comme une brume éthérée qui s’intercale entre les lignes mélodiques.
Après cette sonate d’une grande richesse sonore, la Dumka opus 59 de Tchaïkovski paraît trop fougueuse et décousue : chaque main résonne telle une voix indépendante de l’autre et le chant paraît noyé au milieu de trop nombreux détails. L’interprétation n’est cependant pas aidée par un Steinway au son dur, marqué et plutôt percussif.