Il est de ces concerts de musique de chambre où le résultat, bien au-delà de la seule somme des qualités instrumentales de chacun, procède d'une telle écoute, d'une telle union entre les musiciens, que la symbiose semble miraculeuse. Le concert de ce soir était assurément de ceux-là. Dans un cadre cher aux impressionnistes tels Monet et Renoir et par plusieurs dates parsemées tout au long de l'année, les Musicales de Croissy tiennent avec brio ce pari osé d'une programmation tant exigeante qu'audacieuse, faisant part belle aux jeunes phénix du clavier et de l'archet.
C'est ce soir le duo Aylen Pritchin / Lukas Geniušas qui entre en scène. L'un, prodige russe du violon dont la maîtrise et l'intelligence du son n'a d'égal que l'ardeur d'archet. L'autre, déjà bien connu en France, est cet ours lituanien esthète autant qu'expert dans la science du toucher et des atmosphères. Ils nous proposent un programme dont la première partie entièrement russe reprend une partie de leur disque récemment paru chez Melodia : la Suite pour violon et piano "d’après des thèmes, fragments et pièces de Pergolèse" de Stravinsky, suivie du Souvenir d'un lieu cher, op.42 de Tchaïkovsky puis du passionnant Wie der alte Leiermann... de Leonid Desyatnikov. La seconde partie sera celle de la Sonate pour violon et piano n°9 "Kreutzer" de Beethoven.
Lukas Geniušas a déjà pu se produire maintes fois à Paris, et nous avions constaté (voir par exemple l'article sur son 3ème Concerto de Prokofiev le 3 mars dernier à l'Auditorium de Radio France) une certaine tendance à s'enfermer dans un écrin nanométrique et délicat où tout est fignolé selon un extrême raffinement de toucher. Si ce soir l'impression de réclusion dans un cocon est bien moindre, l'orfèvre est toujours présent, dans son inébranlable méticulosité où la clarté de son côtoie la radicalité des choix musicaux. Face à l'ultra sophistication de la dentelle qu'il déploie, difficile a priori pour un partenaire de trouver sa place ... si ce n'est pour Aylen Pritchin. En douter serait méconnaître le violoniste, et nul ne peut imaginer en réalité meilleurs partenaires musicaux. Au-delà de l'étiquette de surdoué au palmarès de concours impressionnant (avec notamment en 2014 le premier prix au Concours Long-Thibaud-Crespin), Pritchin est avant tout un violoniste de grande envergure. S'il partage avec Geniusas l'expertise du toucher, la clarté de son ainsi que l’intelligence interne du discours, il apporte également une chaleur, une flamboyance et une ardeur qui colorent à merveille l’ivoire du pianiste. Dans la riche géométrie de leurs visions l’attachement à la note n’est jamais un confinement. Il suit toujours une direction, et Pritchin arrive à lui ajouter un beau souffle horizontal, tandis que Genuisas lui confère une teneur plus verticale, sans qu’il n’y ait cependant aucune dissension. Quelle connivence au contraire, quelle écoute exemplaire !