Une même obsession du temps chez ces compositeurs, mais des conclusions radicalement divergentes : un sens du sacré chez Harvey, de la poésie chez Zimmermann, alors que Stockhausen, tendrait plutôt vers une forme d'athéisme musical. Concert donc ambitieux, mais dont la réalisation fut gênée par des temps d'attente ridiculement longs et un contresens majeur dans Gruppen, suite à une configuration spatiale aberrante.
Une performance de Gruppen est toujours un événement. C'est d'autant plus vrai lorsque celle-ci survient quelques semaines à peine après l'annonce du décès de celui qui en fut l'un des créateurs, aux côtés de Bruno Maderna et de Stockhausen lui-même : Pierre Boulez. D'une esthétique que l'on pourrait raisonnablement qualifier d'atomisée, sa place d'icône de l'avant-garde post-1945 fait de Gruppen l'une des pièces les plus célèbres du compositeur. Matthias Pintscher, Paul Fitzsimon et Bruno Mantovani ont fait tournoyer le son de part et d'autre d'un mince carré d'auditeurs, comme pris au piège au centre d'un gigantesque fer à cheval. Mais la plus grande partie du public, du haut de ses gradins, était exclue du scénario spatial : contresens majeur, pour une œuvre dont la fin première est de cultiver l'ambitus stéréophonique.
Créée en 1958, Gruppen n'est guère représentée, sans doute en raison de cette exigence : un public assis au barycentre d'un triangle orchestral. Mais Stockhausen ne s'ouvre pas, ne se livre pas pour autant ; il illustre simplement le monde qui est en lui. Ça bruisse, ça froufroute ! L'écriture, très travaillée dans son abstraction, joue habilement des effets de glissements, de fondus et de permutations. Pourtant, elle ne va jamais au-delà du « degré zéro » ; les instrumentistes ne sont sollicités que pour des notes uniques, non pour des phrases. Des bribes de son volettent de droite à gauche telles le bruissement aléatoire d'une multitude de papillons. Les chefs ont troqué frac et panache pour une casquette d'ingénieur en construction : ils sont avant tout là pour superviser et coordonner les opérations. Mais si une rigueur scientifique est à la source de l’œuvre, celle-ci n'entrave pas l'impression d'improvisation, laquelle culmine dans une douzaine de mesures d'épiphanie sonore – ou de « free-jazz », selon les perceptions. L'armada symphonique y injecte des trombes sonores absolument ahurissantes. Le déploiement au plus haut degré des troupes de l'audio-visuel est cependant un bémol, et pas des moindres : leurs mouvements gênent la vue tandis que les communications troublent le silence. Forts de la modularité de leur salle, les organisateurs du concert semblent avoir passé en revue, ces dernières années, toutes les configurations possibles : après avoir jadis exploité la largeur, ce soir, les orchestres étaient logés sur la longueur. Ce n'était malheureusement pas faciliter la tâche de l'auditeur.