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Bonjour tristesse : Barbara Hannigan et ses amis au Festival de Pâques

Par , 07 avril 2021

On pouvait être intrigué, voire émoustillé à la lecture du programme intitulé « In memoriam », qui réunissait ce lundi au Festival de Pâques Barbara Hannigan et dix musiciens autour d’elle. L’affiche était prometteuse avec un spectre musical très large, de Rameau à la composition contemporaine, en passant par les XIXe et XXe siècles, mais on avoue que l’enthousiasme s’effiloche au cours de ce concert d’une heure et vingt minutes.

Cela démarre par le sublime air « Tristes apprêts » de Jean-Philippe Rameau, mais dans un « new treatment » annoncé, aux soins de David Chalmin, lui-même aux manettes de sa musique électronique. Quelques suraigus de Barbara Hannigan en « a », en « ou » sont amplifiés, enregistrés en direct pour être mélangés dans leur émission, sur fond de petit son planant, puis viennent des mots chuchotés dans les haut-parleurs. Tout cela forme une longue introduction à l’air proprement dit, voix amplifiée à nouveau et petite trompette en écho, mais à vrai dire on préfère largement l’original ramiste.

S'ensuit une séquence de pur XXe siècle, avec d’abord Goffredo Petrassi, l’un des grands compositeurs italiens de la période avec Luigi Dallapiccola. Ses Beatitudines avant-gardistes, écrites en 1968 et sous-titrées Témoignage pour Martin Luther King, sont chantées par le baryton Antoin Herrera. La voix est bien timbrée mais sans doute pas assez projetée, et elle a tendance à s’effacer derrière certains des cinq instrumentistes sollicités dans les orchestrations et rythmes très variés de l'ouvrage, comme les percussions, mais aussi la trompette et la clarinette.

Barbara Hannigan, qui dirigeait, passe ensuite au chant pour Des Todes Tod, dernier des trois lieder du petit cycle composé en 1922 par Paul Hindemith. L’accompagnement est assuré par le seul alto de Béatrice Muthelet, magnifique d’expressivité et en ligne avec la profonde tristesse qui émane de la soprano, parfaitement musicale et dans une bonne qualité d’allemand.

L’acteur et réalisateur Mathieu Amalric entre sur scène pour lire un texte, ce qui permet l’installation des instruments en vue du septuor pour cordes, piano et trompette de Camille Saint-Saëns, compositeur qu’on est amené à entendre régulièrement en cette année marquant le centenaire de sa disparition. L’ensemble est harmonieux et dynamique, on apprécie particulièrement le violoncelle plein de sentiments de Jérémy Garbarg dans le troisième mouvement. La présence de Renaud Capuçon au premier violon et de Bertrand Chamayou au piano est un luxe, mais celle qui retient l'attention est la trompette de la jeune (22 ans) et talentueuse Lucienne Renaudin-Vary.

Après une seconde intervention de Mathieu Amalric, pour un nouveau changement de plateau, ses derniers mots « Ce cœur battait et ne s’interrompait plus » enchaînent, bien à propos, sur un faible battement rythmé par de petits gémissements puis une note répétée par Barbara Hannigan. Bertrand Chamayou joue de l’entièreté de son piano, il frappe, gratte à l’intérieur puis revient au clavier pour cette composition de David Chalmin Beati Mundo Corde. Celui-ci est à nouveau à la manœuvre pour l’arrangement d’Ernest Chausson, Les Heures, qui suit. Le piano accompagne délicieusement une Barbara Hannigan intériorisée qui produit de très jolis sons, mais des mots moins distincts.

La partie française se poursuit avec Les Berceaux de Gabriel Fauré, puis Elégie d’Henri Duparc, interprétés par Antoin Herrera, dans une qualité de prononciation du texte malheureusement insuffisante dans cet exercice de mélodies françaises. Si la prestation vocale est correcte, on détecte toutefois des sensations passagères d’instabilité, un petit inconfort dans le grave chez Fauré et une projection dont on attend davantage d’ampleur dans la dernière partie d’Elégie

Pour conclure le programme, la Chanson perpétuelle d’Ernest Chausson est donnée dans son orchestration pour quatuor à cordes et piano. Barbara Hannigan chante cette fois-ci sans micro, un son direct qui paraît favoriser la compréhension du texte. On retrouve l’abattement, la douleur du poème Nocturne de Charles Cros dans les accents plaintifs de la soprano, finalement bien en adéquation avec le spleen de ce programme « In memoriam ».

***11
A propos des étoiles Bachtrack
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“les accents plaintifs de la soprano, finalement bien en adéquation avec le spleen de ce programme”
Critique faite à Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, le 5 avril 2021
Chalmin, New treatment of « Tristes Apprêts », from Castor et Pollux
Petrassi, Beatitudines
Hindemith, Des Todes Tod, Op.23a
Saint-Saëns, Septuor en mi bémol majeur pour trompette, piano et cordes, Op.65
Chalmin, Beati Mundo Corde
Chalmin, Les Heures, arrangement de l'œuvre de Chausson pour instruments et electro
Fauré, Les Berceaux, Op.23 no.1
Duparc, Élégie
Chausson, Chanson perpétuelle, pour voix, cordes et piano, Op.37
Barbara Hannigan, Soprano, Direction
Antoin Herrera-López Kessel, Basse
Renaud Capuçon, Violon
Emmanuel Coppey, Violon
Béatrice Muthelet, Alto
Jérémy Garbarg, Violoncelle
Lorraine Campet, Contrebasse
Bertrand Chamayou, Piano
Amaury Viduvier, Clarinette
Lucienne Renaudin Vary, Trompette
Adélaïde Ferrière, Percussions
David Chalmin, Électronique
Le théâtre liturgique de Castellucci à la cathédrale de Genève
****1
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