Ilya Rashkovskiy a atteint une authentique maturité musicale qui lui permet de faire parler sa grande, profonde et sensible personnalité. Le natif d’Irkoutsk propose un concert fourmillant d’idées originales, audacieuses, transgressives, qui ne peut laisser indifférent malgré les errances inhérentes aux parti-pris dont les tempéraments ne s’accordent pas toujours avec l’esprit des œuvres.
La première partie du concert s’articule autour des 4 ballades de Frédéric Chopin, œuvres emblématiques du compositeur polonais qui contribua à établir le genre et la forme : deux thèmes différents se suivent au rythme d’une danse puis sont réexposés selon un chiasme harmonique dans le final.
La Ballade n°1 s’ouvre de manière craintive, le récitatif introductif et les accords comme des pas de deux sonnent tels des battements oppressés par un usage un peu excessif du rubato sur le deuxième temps. Le deuxième thème fait irruption après le tumulte des passions animant l’âme de Chopin, se développe de manière plaintive sous les doigts du pianiste russe avec nostalgie, celle inhérente au regret ! La réexposition ressemble à une cadence jazz, emportée, et les successions de croches, accords puis enfin les arpèges finaux sont avalés avec une dextérité sans pareille.
Dans la Deuxième ballade, le thème d’ouverture sonne comme une cloche hagarde évoquant des souvenirs langoureux. Le second thème, empreint d’une chevalerie et d’héroïsme tout dramatiques se basant sur une alternance de gammes et accords, est joué certes avec une belle profondeur de jeu et un son ample mais de manière trop sportive ! La réexposition est quant à elle approchée de manière trop directe, linéaire.
La Troisième ballade, souvent la plus ingrate de cet ensemble de pièces, tant par sa structure et que par ses thèmes échevelés et virtuoses, se transforme en un flot dynamique, fluide, et qui fait sens sous la conduite d’Ilya Rashkovskiy. Le premier thème devient sérieux et grave grâce à de belles basses synonymes des tiraillements de l’âme. Le second motif se pare du visage de la moquerie par une alternance entre accords joués médium et legato, entrecoupés par d’éphémères incursions de croches en pizzicato. La pièce mime parfaitement les tendres reproches de deux amants, dont les feux contraires, décidés mais francs, s’entrelacent pour se résoudre dans la quiétude sur les accords finaux.
Dans la Quatrième ballade, le premier thème se pare d’un lyrisme mesuré, vif et empreint d’une émotion vibrante, par un excellent usage du legato, du rubato et un beau toucher qui s’exprime à merveille dans le développement, mettant en lumière l’écriture polyphonique de la pièce, et installant une atmosphère sereine et paisible. Une nouvelle fois les parties techniques du second thème sont trop violentes et parfois même un peu brutales, et ce particulièrement dans le final où sa quête romantique devient bien plus celle d’un héros tragique.