Il n'y a pas foule en ce vendredi soir à la Maison de la radio et de la musique pour la septième édition de Pianomania, un peu plus d'une demi-heure avant le début de ce récital. Mais l'auditorium finira par être très bien achalandé d'un public attentif, comme il l'est si souvent en ces lieux. Cinq pianistes vont se succéder pour des programmes de vingt minutes on ne peut plus contrastés. Sur le papier, on se dit pourquoi pas et à la fin on exulte quand François Dumont, décidément l'un des secrets les mieux gardés du piano français, se lève après avoir joué La Valse de Ravel – cette pièce impossible, si peu finie dans sa version pour piano seul que Maurice Ravel ne voulait pas qu'on la joue en public – comme jamais on ne l'a entendue, effaçant jusqu'au souvenir des magnifiques Nicholas Angelich et Benjamin Grosvenor.
Mais comment fait Dumont pour donner l'illusion du mouvement des archets, pour mettre son piano en espace, à le colorer d'une façon si troublante qu'on entend les vents et même la distance qui sépare les pupitres ? Il joue piano et pianissimo, avec de fulgurantes envolées de puissance, des sons d'une douceur vénéneuse et d'une noirceur inquiétante. L'esprit viennois et sa destruction grinçante et tragique par Ravel sont idéalement rendues par ce Pierre Monteux du piano. Un grand moment qui avait été précédé par les Jeux d'eau à la Villa d'Este de Liszt. Le flou paradoxalement précis de notes effleurées qui deviennent pure harmonie et chant tout à la fois sont dignes d'Alfred Cortot dont il a la sonorité et la souplesse. Ravel pointe ici, comme l'avait si justement dit Émilie Munera dans sa présentation du récital sur scène, en sachant avec simplicité dire pour chacun et chacune ce qu'il faut dire pour les présenter eux et leur programme.
Ce récital avait pourtant mal commencé avec Éric Le Sage. Il prend un tempo trop rapide pour le Thème et variations op. 73 de Gabriel Fauré. Et rien n'ira, de basses mal attrapées en fausses notes abîmant l'harmonie fauréenne, de phrases bancales jouées avec indifférence en son désincarné qui sapent l'œuvre. Pourtant quelle merveilleuse idée le pianiste à eu d'enchaîner, dans la dernière résonance du Fauré, les Variations posthumes que Schumann a ajoutées aux Études symphoniques op. 13. Mais là encore, désinvestissement, fautes et sonorité dévitalisée nous perdent rapidement.
Shani Diluka qui le suit n'est pas une pianiste dont la virtuosité vous décroche la mâchoire, mais son programme joué sans pause intrigue puis convainc rapidement d'Arvo Pärt à Moondog, de Scarlatti à son arrangement de Si dolce è il tormento de Monteverdi, de Penderecki à l'irrésistible My Lady Carey's Dompe, une pièce anonyme élisabéthaine qu'elle ornemente de façon bien plus inventive que Rafael Puyana, qui l'avait révélée il y a soixante ans, ne l'osait sur son clavecin. Diluka y est irrésistible, par sa force de conviction incrustée dans le clavier.