N’en déplaise aux sœurs Labèque, Jaap van Zweden était indiscutablement la star de cette soirée. En regard d’une Cinquième Symphonie de Chostakovitch récurée, brillant de mille feux, la création programmée a pris un rude coup. Au reste, qu’est-ce qu’un concerto dans lequel les solistes jouent les mêmes notes que l’orchestre, au point que l’on ne les entend plus ? Dans cette nouvelle œuvre pourtant très attendue, Philip Glass s’est contenté de ressasser quelques figures élémentaires sur fond de percussions maladroites.
Le premier mouvement du Concerto pour deux pianos nous plonge dans la congestion urbaine de l’Aurore de Murnau. C’est un flux d’harmonies où tintent percussions claires, proche du klangfarbenmelodie rythmique qui achève la 15ème de Chostakovitch. L’efficacité en moins. Cette mise à nu des percussions (jouant pourtant piano), un peu grêle, un peu grelottante est un pari risqué. Certains détails tombent comme un cheveu sur la soupe. Et naturellement, ça ne tarde pas à dégringoler. Serait-ce du second degré ? Mystère. L’orchestre, quant à lui, nous sert des tronçons de phrase comme des gnons (Philip Glass, rappelons-le, fut un temps plombier). Ces morceaux un peu épars empêchent l’ivresse, l’abandon hypnotique des grands sanctuaires glacés : Koyaanisqatsi, les concerti pour violon.
Le deuxième mouvement est un tic-tac métronomique sur lequel dialoguent les deux pianos, étrangement imbriqués. Cela progresse en miroir déformant, avec un léger décalage : Katia apostrophe tandis que Marielle semble lui répondre « à vos souhaits ». Bientôt, un élargissement cuivré conduit à une atmosphère plus dense ; on croirait parcourir une toile de Delaunay. Le soliste, à peine une extension de l’orchestre, n’a pas de rôle vraiment majeur. On est plus du côté de la contribution que du surplomb. C’est d’autant plus vrai que les graves du piano sont souvent inaudibles, car concourant avec le pupitre de basse ; les arpèges, faisant double-emploi avec l’orchestre, se perdent dans la masse. Même les doublures carillonnantes de glockenspiel raflent la vedette au piano, chaque fois qu’il s’aventure dans un registre où l’on pourrait l’entendre. Concerto aux airs de film muet : les sœurs Labèque s’agitent comme Keith Emerson en son temps, mais elles ne font rien que brasser de l’air.