Pouvait-on espérer meilleure synchronisation que celle du liederabend que donnaient Jonas Kaufmann et Diana Damrau à la Philharmonie avec la soirée de la Saint Valentin ? Soutenus par l’irréprochable Helmut Deutsch, leur Italienisches liederbuch babillait, roucoulait, prenait le temps de la plaisanterie, allégeant considérablement le style et la prosodie au demeurant sophistiqués de la musique d’Hugo Wolf.
Les deux livres des Italienisches liederbuch ne sont pas les plus faciles à appréhender chez le compositeur. À cela plusieurs raisons : leurs vastes proportions, l’extrême segmentation du cycle, et ces harmonies morcelées – si difficiles pour la mémoire –, sans compter que Wolf n’utilise que rarement des mélodies aussi fluides ou caractérisées que celles de Schubert. L’impression globale est celle d’une longue suite de récitatifs, plutôt qu’une collection d’arias (c’est là pourtant le fameux recitativo arioso dont nous parlent les spécialistes). Aussi, butiner année après année dans l’ouvrage semble encore être la meilleure solution pour se l’approprier, et ainsi démultiplier le plaisir d’écoute.
D’entrée de jeu un fait marquant : nulle part ici de cérémonial, les deux chanteurs s’avancent sur scène en plaisantant, gesticulent, assurant de leur mimodrame une trame continue. Que l’on ne s’y méprenne pas, rien ici ne se veut théâtralement original, ou même abouti ; en revanche, et c’est beaucoup mieux ainsi, les lieder s’enchaînent grâce à cette action scénique de la façon la plus convaincante et la plus logique. S’installe une action dramatique qui épouse l’action musicale, et le fait en temps réel ; avec des gestes, des sourires, des volte-face, caresses et autres embrassades. Sans cela, l’absence de sous-titres se serait révélée plus problématique encore (on a noté, pendant toute la durée du concert, un bruissement de feuillage : le bruit de centaines de personnes consultant la traduction fournie dans le programme). Mais qu’importe si l’on ne suit mot à mot le texte, lorsque le chant, sa longueur de souffle, ses modulations radieuses suffisent à enivrer : c’est en cela que l’interprétation (et l’exécution !) du couple de chanteurs a largement su captiver.