À l'Opéra Bastille, Madame Butterfly tient quelque peu figure de relique. Donnée depuis 1993 dans la mise en scène de Robert Wilson, elle a fait la gloire de la maison comme de son metteur en scène dont on vit là l'apothéose. Un simple écran monochrome en guise de décor, une tendance à l'épure et à la suggestion qui doit autant à la pantomime qu'au théâtre Nô : la signature de Wilson, de création en création, est de celles que l'on reconnaît au premier coup d'œil. Et dont il est aussi aisé d'admirer la mécanique que d'en railler le maniérisme. Vingt-six ans après sa création, qu'en reste-t-il ? Réponse lors de cette belle première, dont le triomphe fut plus musical que scénique.
En fond de scène, un écran inonde le plateau d'une lumière blanche. Un par un, les personnages font leur entrée. Chez Wilson, on bouge peu : les chanteurs se concentrent sur une seule ligne, à l'avant-scène – à de rares et louables exceptions, comme la scène du bonze du premier acte – et interagissent donc peu entre eux. Dès lors que le quasi-statisme est ainsi érigé en credo, le moindre des gestes est d'importance et se pare d'une valeur symbolique. Ainsi le seppuku final de Cio-Cio-San, figuré par le simple majeur se repliant sur lui-même.
Si l'on reconnaît le caractère éminemment subjectif de tels partis pris, tant ils font appel à une imagination qui varie de spectateur en spectateur, on ne manquera pas d'en souligner la prétention totalisante : tenu par un marionnettiste qui millimètre le moindre mouvement des protagonistes, le jeu de scène, conséquence autant que cause de l'incarnation des personnages par les chanteurs, n'est plus franchement possible. Bien sûr, c'est là l'influence frontale du théâtre nippon qui, de plus, ne semble pas inadéquate dans le plus japonais des opéras de Puccini. Mais voilà : l'œuvre reste du Puccini. Le livret, le style, la musique, tout relève de l'art occidental et du réalisme puccinien ; or la puissance symbolique du Nô noie les souffrances individuelles au profit d'une vision presque cosmique de la nature humaine. Vision qui peut plaire à l'esprit, mais qui ne touche définitivement pas le cœur.