Incroyable succès lors de sa création en 1831 et pendant les années qui suivirent, Robert le Diable a été injustement délaissé depuis. La dernière production sur une scène de l’Hexagone remonte à 1985 au Palais Garnier, avec une distribution désormais mythique : Alain Vanzo, Rockwell Blake, June Anderson, Samuel Ramey. Avant ces représentations bordelaises, les inconditionnels auront pu – un peu – épancher leur soif diabolique avec de rares mises à l’affiche, entre autres les spectacles au Staatsoper de Berlin (2000), Covent Garden de Londres (2012) ou encore les représentations de concert au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles au printemps 2019.
A l'Opéra National de Bordeaux, les trois représentations sont annoncées mises en espace par les soins de Luc Birraux, mais le jeu d’acteur ne pousse pas très loin : un peu de variations dans les entrées et sorties des protagonistes avec parfois un personnage qui arrive par la salle, ou encore un engagement plus visible pendant certains duos ou trios. La notion de mise en scène est la plus prégnante à l’acte III, pour lequel trois portants sont descendus juste au-dessus du plateau et permettent des éclairages plus caractérisés, en particulier sur une sculpture de plastique transparent au plafond, éclairée de blanc, rouge, jaune et qui représente la tombe de Sainte Rosalie.
Le public vient toutefois pour l’écoute en première priorité et toutes les paires d’oreilles ressortent comblées de l’auditorium. Le premier initiateur et maître d’œuvre de cette réussite est le chef Marc Minkowski, grand défenseur de Giacomo Meyerbeer et déjà à la baguette lors de la série berlinoise il y a 21 ans. Dès les premières mesures, l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine sonne avec solennité et profondeur, les pupitres de bois avec expressivité, les cordes sont tour à tour virtuoses et soyeuses… et quel magnifique violoncelle solo dans un très long passage, jamais entendu pour notre part, en fin d’acte III ! Le chef déchaîne parfois des tempêtes sonores enthousiasmantes, comme la Bacchanale survoltée du III, qui tendent cependant par moments à amenuiser le volume de certains chanteurs dans l’acoustique d’ensemble. La cohésion de quelques départs n’est pas non plus d’une perfection absolue, mais l’intelligence musicale et l’énergie déployée sont à leur maximum. Par ailleurs, l’auditorium n’est pas favorable aux choristes, répartis ce soir en hauteur dans les tribunes derrière l’orchestre et largement espacés entre eux. La bonne nouvelle est que le Palazzetto Bru Zane – Centre de Musique Française Romantique réalise une captation audio des trois soirées en vue de l’édition prochaine en CD, et l’on peut penser que ces légères imperfections seront corrigées pour la version aboutie de l’enregistrement.