À peine a-t-il salué le public que Michel Dalberto commence à jouer dans le brouhaha des applaudissements. En deux secondes, le pianiste obtient le silence du public qui emplit la Salle Gaveau. Pas une toux ne viendra de toute la soirée rompre la tension que le pianiste va imposer dès le premier des Klavierstücke D. 946 de Schubert. Dalberto le joue ce soir mâchoires serrées, cherchant et trouvant la noirceur dans une œuvre qui en manque moins que ce que bien des interprètes plus souriants font entendre habituellement. Tendu, anguleux, maniant une dynamique colossale, timbrant jusqu'au cri un beau Bösendorfer, le musicien va toujours de l'avant sans jouir complaisamment de la musique. Il semble indifférent au lyrisme tendre que l'on peut aussi y faire entendre – ce qu'il faisait, il y a une trentaine d'années, dans un enregistrement publié chez Erato de ces trois Klavierstücke (ce soir il ne donne que les deuxième et troisième). Schubert est un vieil ami de Michel Dalberto. Il a enregistré l'intégrale de sa musique pour piano chez Denon.
Vient la Fantaisie op. 17 de Schumann. Cri d'amour du compositeur pour Clara qu'il n'a pu épouser qu'après une lutte longue et éprouvante avec le père de cette pianiste prodige. Michel Dalberto construit un premier mouvement qui tétanise dès l'abord. Le pianiste élargit les lignes, creuse les phrases, arrache des accents passionnés au Bösendorfer, sans jamais chercher, là non plus, ce qui pourrait être aimable dans cette musique. Dalberto montre la douleur d'aimer plus que les délices de la félicité. C'est surprenant, bouleversant, jusqu'au-boutiste. Nous sommes près des accents farouches, sombres, fantastiques des pièces impaires des Kreisleriana qui précèdent la Fantaisie dans le catalogue du compositeur. Le deuxième mouvement est porté par la même énergie, la même projection du son tiré d'un instrument que le pianiste plie à sa volonté impérieuse. Tant pis si quelques notes tombent à côté à la fin, c'est la rançon des risques pris pour aller au plus près de la vérité d'une œuvre. Le troisième mouvement montera d'un grave de fin du monde portant à l'incandescence une main droite claire, timbrant des accords hallucinés, jusqu'à ces arpèges brûlants de lyrisme qui conduisent à cette fin apaisée qui se meurt peu à peu.