Intelligent et fascinant rapprochement que de faire se côtoyer, pour ce premier concert de l’année de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, les œuvres d'Albert Roussel et de Bohuslav Martinů. Albert Roussel, marin devenu musicien, avait accueilli à son arrivée à Paris en novembre 1923 un Bohuslav Martinů, âgé de 33 ans, à peine débarqué de la jeune Tchécoslovaquie. Son but était d’étudier la composition en France, un pays dont il aimait la musique découverte lorsqu’il était violoniste à la Philharmonie Tchèque, alors dirigée par Václav Talich. Il y restera jusqu’en 1939, avant de fuir vers les États-Unis avec l’aide de Charles Munch.
Ce programme était précédé d’un sobre et émouvant hommage rendu par M. Christian de Pange à Pierre Boulez, disparu quelques jours auparavant. Ces quelques mots précédaient une magnifique interprétation de Domaines, donnée dans une pénombre bienvenue, par Nicolas Baldeyrou, clarinettiste solo de l’Orchestre Philharmonique de Radio France.
Le programme proprement dit débutait par le double concerto pour deux orchestres à cordes, piano et timbales de Martinů. Cette étonnante pièce, clin d’œil au concerto grosso du XVIIe siècle, sonnait ici magnifiquement avec un orchestre disposé de manière parfaitement symétrique. Tout de cette musique, sa vivacité, sa rythmicité, sa lumière comme son énergie, était rendu avec précision et transparence par un Orchestre Philharmonique de Radio France des grands soirs, souple et réactif. La battue énergique et précise de Jakub Hrůša permettait à cette étonnante musique d’exprimer sa virtuosité, jamais gratuite, mais aussi ses couleurs plus sombres certainement à rapprocher de sa composition en 1938. La seule réserve à faire, sans doute liée à leur installation au même niveau que le reste de l’orchestre, était une perception insuffisante, au moins depuis l’orchestre, des timbales et du piano.
Dans la suite Bacchus et Ariane de Roussel, une musique luxuriante et changeante, Jakub Hrůša et son orchestre parvenaient à une symbiose encore plus aboutie. Évoquant par moments le Dukas de L’Apprenti sorcier, puis le Scriabine du Poème de l’extase, les interprètes parvenaient ici à un mélange d’abord d’élégance (les sensuels pizzicati des contrebasses du début ravissent), puis de lyrisme dans la partie centrale, avant d’offrir une très impressionnante jubilation finale, véritable orgie sonore maîtrisée et libre. Tous les pupitres de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, sollicités successivement et à un très haut niveau de technicité, se montraient ici encore impeccables.
Après l’entracte, retour à Bohuslav Martinů avec une pièce rare, La bagarre. Cette musique est elle aussi fascinante, notamment par son début qui évoque…Roussel, au point que l’on se demande si l’on ne s’est pas trompé en lisant le programme, avant de bientôt sonner typiquement comme du Martinů. Étonnante connexion donc entre ces deux compositeurs, dont l’un, Roussel, disait de l’autre, Martinů, « ce sera mon chef-d’œuvre ». Le final, cataclysme sonore, n’évoque que de loin l’alibi de l’œuvre (la traversée de l’Atlantique par Lindberg en 1927) mais impressionne par sa mise en place orchestrale impeccable.